jeudi, février 08, 2007

Introduction

« «

Ici même se sont déroulées des épopées qui peuvent compter parmi les plus fantastiques de l’humanité. De rudes gars sont partis de chez vous pour rejoindre à Dives, Guillaume de Normandie, voguant vers la conquête de l’Angleterre. D’autres ont mis les voiles ici même pour découvrir l’Amérique. Honfleur, c’est le pays des plus vaillants normands, des plus hardis marins, des plus audacieux explorateurs.

» »

Echo Honfleurais, nécrologie de Henry Chéron, avril 1936

Cette formule pleine d’enthousiasme a été prononcée en 1910 par Henry Chéron, alors sous-secrétaire d’Etat à la Marine. Cette emphase est sans doute due à la présence devant lui de la population honfleuraise. Marins ou non, les Normands se plaisent à rappeler que leur histoire commence par « Nos ancêtres les Vikings… ». Henry Chéron, qui a commencé sa carrière politique à Lisieux, connaît ce rapport étrange du Calvados à la mer. Il sait l’intérêt de chacun pour le monde maritime.

L’Histoire maritime bas-normande a fait l’objet de plusieurs travaux. Le pôle d’histoire maritime de l’Université de Caen développé par MM. Lenhof et Zysberg contribue actuellement à cette entreprise. Que l’approche soit sociale ou strictement économique, toutes ces études participent à la compréhension des relations des Normands avec la mer. La plupart d’entre elles s’intéressent aux populations maritimes, c'est-à-dire aux acteurs économiques qui tirent leurs ressources de la mer. De la même façon, les monographies des communes littorales participent à la connaissance de ces populations. Les archives administratives et les fameux registres matricules d’inscrits maritimes sont, il est vrai, riches en informations de toutes natures. Pourtant, ces sources reflètent mal les mentalités, les idées, les liens affectifs qui unissent les hommes à la mer. De plus, la plupart de ces études, en se concentrant sur les gens de mer, négligent l’immense majorité de la population qui n’exerce pas d’activité maritime. Par conséquent, nous ignorons beaucoup des liens qui unissent le Calvadosien à la mer.

Pour dresser ce portrait du Calvadosien face à la mer, nous allons utiliser une observatrice de son temps : la presse.

Les nombreuses études sur la presse, ou sur les médias en général, mettent en avant l’influence croissante de ceux-ci sur l’opinion publique. Les travaux de Christian Delporte sont à ce titre remarquables[1]. C. Delporte s’interroge sur la relation qui unit la presse et l’opinion publique. Il constate que la presse est la fois un élément révélateur et un élément constitutif de l’opinion publique. C’est cette double dimension de la presse qui en fait un outil de compréhension essentiel en histoire contemporaine. La presse reflète l’opinion publique, dans toute sa diversité politique, culturelle et sociale.

Le concept d’opinion publique revêt deux dimensions. Il est l’expression d’un sentiment général qui correspond, en fait, à l’avis de la majorité. Il est également la somme de tous les points de vue, de toutes les voix d’une époque. L’étude de l’opinion publique permet donc de dessiner un portrait qui allie traits généraux et nuances.

Nous allons donc utiliser la presse pour comprendre les liens qui unissent le Calvadosien au monde maritime. Au préalable, il est nécessaire de définir en quoi la presse de la Troisième République permet de comprendre l’opinion publique. Il convient également de préciser ce que nous entendrons par monde maritime.

Dans un premier temps, il importe de comprendre en quoi la presse influence et révèle l’opinion publique calvadosienne.

La presse et la République renaissent ensemble en 1881. La République républicaine triomphe avec les élections législatives de 1881. La nouvelle majorité à l’assemblée va offrir à la presse l’autonomie qui manquait à son essor. Les conditions d’un développement de la presse sont rassemblées. La loi de liberté de la presse du 29 juillet 1881 affranchit les journaux des contraintes économiques et politiques. Il y a donc une totale liberté de publication et de diffusion. La presse devient alors une tribune libre où toutes les opinions s’expriment. Parallèlement, les progrès techniques ont donné à la presse les moyens de son essor en faisant du journal un produit de consommation courante.

Heures de gloire ou de doute, la presse vit sans doute les plus grands moments de son aventure sous la Troisième République. Elle se dote peu à peu des moyens d’influencer l’opinion. Parallèlement, le principe de la libre expression confère à la presse un statut de révélateur de l’opinion publique.

Le paysage médiatique calvadosien de la Troisième République, est composé presque exclusivement par la presse écrite. L’actualité radiodiffusée, et la presse filmée projetée dans les cinémas caennais, n’apparaissent dans le Calvados qu’au début du XXème siècle. Leur influence est d’ailleurs tout à fait marginale. Notre étude concernera donc la presse écrite diffusée dans le Calvados. Le kiosque du lecteur est bien doté en matière de journaux. Il se caractérise avant tout par sa diversité. Diversité d’origine d’abord puisque les journaux publiés dans le département cohabitent avec les journaux parisiens. Diversité politique ensuite, qui résulte de la liberté d’expression acquise en 1881. Enfin, diversité liée au lieu de publication et à la pluralité du monde des journalistes.

La diversité de la presse généraliste laisse supposer une inégale présence et une différence de traitement de l’information maritime dans la presse. Certains journaux ont choisi d’offrir une place privilégiée au monde maritime à tel point que l’on peut parler d’une presse spécialisée. Cette presse maritime est composée de deux grandes familles : la presse portuaire et la presse balnéaire.

La presse balnéaire occupe une place de choix dans cette étude. Source incontournable dans toutes les études sur le tourisme balnéaire, elle n’a jamais fait l’objet d’une étude spécifique. S’il est vrai que la presse balnéaire présente des points communs avec la presse généraliste, elle n’échappe pas aux grandes tendances qui façonnent le visage de la presse moderne. La mise en page, les méthodes de fabrication sont similaires. Pourtant, la presse balnéaire occupe une place à part dans le paysage de la presse calvadosienne. Ses origines et son développement sont tout à fait différents de la presse généraliste. Elle adopte un contenu spécifique qui s’adresse à un lectorat qui ne l’est pas moins. Toutes ces particularités en font un objet d’étude autonome.

La question de la presse portuaire est plus délicate. Les ports calvadosiens disposent au cours du XIXème siècle de plusieurs journaux spécialement destinés aux populations maritimes. Avec la Troisième République, ces journaux se sont peu à peu ouverts à l’information générale tout en conservant un ancrage maritime. La presse honfleuraise est sans doute le meilleur exemple de cette mutation. Il convient donc d’établir les causes de cette évolution. Il faut également comprendre les caractères de cette presse de ville portuaire qui font son originalité.

La presse de la Troisième République est parvenue à s’intégrer dans la vie du Calvadosien. Elle exerce une influence croissante sur l’opinion et en révèle sa diversité. Pour l’historien, elle offre un regard contemporain sur le monde qui l’entoure. C’est ce regard, lorsqu’il se porte sur le monde maritime, qui va retenir notre attention. Il est nécessaire de proposer une définition du « monde maritime ».

Le monde maritime est un terme général qui recouvre une grande diversité.

La mer est bien sûr le dénominateur commun à tous les éléments qui composent ce monde maritime. Les légendes populaires, les arts comme la peinture ou la littérature véhiculent une idée de la mer qui mêle crainte et fascination. La presse se veut plus fidèle à la réalité et il faut s’interroger sur l’image de la mer qu’elle transmet. Cette image appartient au domaine du subjectif, de l’affectif, et aide à comprendre les liens qui unissent l’homme et la mer.

Le monde maritime se compose également de l’ensemble des activités économiques dont la mer est la ressource principale. Là encore, ces activités recouvrent des réalités bien différentes et paradoxalement, une grande partie de l’économie maritime se trouve à terre. L’exemple de la pêche est assez évocateur. Au large de Honfleur ou de Terre Neuve, des travailleurs de la mer (pour reprendre le titre du roman de Victor Hugo) exploitent les richesses de la mer. Ce sont des marins pour la plupart. Ils passent la majeure partie de leur temps et de leur vie en mer. Les navires sur lesquels ils travaillent ont été fabriqués dans des chantiers navals à terre. Les filets proviennent souvent de l’artisanat marin des zones littorales. Les ports, points d’interface entre le monde maritime et la terre, constituent des pôles d’échanges en matière de transport de passagers et de marchandises. Ces mêmes zones littorales sont également le cadre du tourisme balnéaire. Force est de constater que cette économie maritime est extrêmement vaste et diversifiée. La presse offre un point de vue extérieur sur cette économie, celui du simple usager de la mer. Cette position lui permet d’en discerner les forces et les faiblesses.

Cela lui permet également d’évoquer ce qu’elle appelle les « populations maritimes ». Ces acteurs du monde maritime travaillent en mer ou à terre ; ils sont armateurs, matelots ou encore dockers. Le regard porté par la presse sur ces Calvadosien tournés vers la mer doit être étudié. Le monde maritime est donc une réalité socio-économique qui regroupe acteurs et usagers de la mer.

Le monde maritime inclut de la même façon l’usage militaire et politique des océans. Nous concevons là les deux dimensions de la question navale. D’une part, le monde maritime porte des ambitions politiques et stratégiques. On affiche des objectifs ou des prétentions, on s’interroge sur l’équilibre des forces navales. Bref, il s’agit de réfléchir sur la puissance navale française et à sa place dans le monde. D’autre part, on discute des moyens à mettre en œuvre, des applications pratiques de la politique navale. Il faut s’interroger sur la façon dont la presse participe aux débats sur les objectifs et moyens de la politique navale française.

Nous distinguons donc les trois grandes dimensions du monde maritime : affective, socio-économique et politique. Elles correspondent à une relation complexe entre l’homme et la mer.

Nous concevons un monde maritime extrêmement diversifié. Le regard du Calvadosien sur ce monde est donc complexe. La presse observe son temps et ses contemporains. Nous allons la concevoir comme un témoin et l’utiliser comme un révélateur de cette relation. Elle va nous permettre de comprendre le regard porté par la presse calvadosienne sur le monde maritime.

Nous allons appréhender différentes relations entre le monde maritime et la presse. Dans un premier temps, nous allons évaluer la place du monde maritime dans la presse généraliste. Ensuite, nous nous intéresserons au traitement de l’information maritime par cette presse. Enfin, nous étudierons la presse consacrée au monde maritime.



[1] Delporte (Christian), « Presse et culture de masse en France (1880 – 1914 », Revue historique, n° 605, Janvier – Mars 1998, Paris, PUF, 1998.

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