vendredi, janvier 05, 2007

Conclusion générale

Notre étude sur le monde maritime dans la presse diffusée dans le Calvados s’achève et nous devons faire le point sur notre démarche.

Le tableau de la presse diffusée dans le Calvados sous la Troisième République a permis de faire trois constatations. D’abord, les arrondissements de Caen et Pont-l’Evêque se distinguent par une presse particulièrement développée et dynamique. Ensuite, les trois grands titres caennais (Journal de Caen, Moniteur du Calvados et Bonhomme Normand) s’accaparent près de la moitié du lectorat et influencent l’ensemble des journaux du département. Enfin, bien que la presse parisienne soit bien diffusée et que l’agence Havas domine le marché des dépêches, l’influence parisienne se limite à l’information générale. C’est cette presse diversifiée qui va constituer notre principal outil de travail.

Dans un premier temps, nous avons constaté que le monde maritime est très présent dans la presse généraliste calvadosienne. On trouve entre un et deux articles maritimes de façon quotidienne sur l’ensemble de la période, à l’exception des années 1920 où il n’apparaît que dans un numéro sur deux. La Grande Guerre marque également un changement dans le traitement de l’information maritime : à l’article de faits divers de la Belle Epoque succède l’article de fond placé à la Une pendant l’entre-deux-guerres. Ce changement d’époque se manifeste par l’arrivée de la photographie du monde maritime dans les années 1930. Sur le fond, nous pouvons distinguer trois grands centres d’intérêt : les accidents en mer, les populations maritimes et la question navale. Mais d’une façon générale, ce sont les événements, petits ou grands, qui créent l’actualité maritime.

Nous nous sommes ensuite interrogés sur les initiateurs et les destinataires de cette présence maritime. Cela nous a permis de dresser un constat sur l’origine de cette présence maritime. D’abord, les articles maritimes sont écrits par des journalistes calvadosiens. Ceux-ci disposent de connaissances sur le sujet par leur proximité avec les milieux maritimes. Lorsque la rédaction d’un journal ne possède pas les connaissances suffisantes sur le sujet maritime, elle a recours à la revue de presse ou aux spécialistes parisiens des questions maritimes. En outre, les agences de presse fournissent aux journaux des informations maritimes du monde entier auxquelles viennent s’ajouter des photographies à la fin de notre période. Les populations et les entreprises maritimes ont un recours modéré à la publicité mais utilisent plus fréquemment les informations pratiques à destination des usagers des services maritimes. Nous savons enfin que les populations maritimes font partie du lectorat de presse puisque sont diffusées des informations qui leurs sont destinées, telles que le mouvement des ports ou les conditions de navigation.

Notre approche statistique a révélé une variation de la présence maritime dans l’espace et dans le temps. En effet, l’information maritime, dans sa forme et des ses thèmes, est soumise au rythme saisonnier des activités maritimes. De plus, la zone de diffusion des journaux influence grandement la présence maritime, surtout dans le cas des informations pratiques. Nous pouvons noter que les grands titres ont une action sur la présence maritime dans la presse. Nous avons pu percevoir l’influence de la presse quotidienne caennaise qui, par son audience, intéresse les journaux du département au monde maritime.

Enfin, nous avons cherché à comprendre les causes de cette forte présence maritime par l’étude de l’environnement de la presse du département. Nous aboutissons à trois résultats. Il n’existe pas de lien direct évident entre l’activité économique maritime et la présence du monde maritime dans la presse. De la même façon, le poids économique des gens de mer ne peut pas justifier cette forte présence puisqu’il décroît. Cette hypothèse économique écartée, on peut justifier cette forte présence par le fait que les populations maritimes font partie du lectorat de presse. Les indicateurs que sont l’alphabétisation, l’implication politique et le niveau de vie nous permettent de penser que les populations maritimes sont bel et bien présentes dans le lectorat de presse de la Troisième République. Toutefois, rien ne permet de penser qu’elles y sont surreprésentées. Nous avons donc examiné le lectorat dans son ensemble pour deviner un intérêt pour l’information maritime. Le Calvadosien a conscience de disposer d’un héritage historique maritime qui le fait se tourner vers la mer. De plus, le lectorat de presse du Calvados est réparti majoritairement sur le littoral. Ainsi peut s’expliquer la forte présence maritime dans la presse.

Après avoir constaté et expliquer cette forte présence maritime dans la presse calvadosienne, nous nous sommes interrogés sur la façon dont cette dernière abordait le sujet maritime.

D’abord, nous remarquons que le naufrage fait de la mer un espace dangereux. Omniprésent dans la presse, le naufrage et, le cas échéant, le sauvetage, sont toujours un récit dramatique qui repose sur les trois piliers que sont le danger, la peur et le courage. Outre la dimension dramatique, les articles comportent souvent une part d’investigation journalistique : analyse des causes du naufrage, propositions de solutions pour y remédier. La presse est bien consciente que l’image du monde maritime qu’elle véhicule est négative, et elle s’efforce de la corriger. L’image des gens de mer est plus complexe. Le marin à deux visages : en mer, il s’illustre par son courage et son patriotisme ; à terre, c’est sa propension à l’alcool et à la violence qui est remarquée. Cela dit, ce comportement réputé irresponsable n’entame pas ce capital de sympathie dont jouissent les gens de mer. Mais la presse ne se contente pas de véhiculer une image de la mer et des gens de mer. Elle veut également participer à la connaissance du milieu maritime. Plus encore, elle s’efforce de le faire évoluer en faisant des propositions visant à améliorer les conditions de vie et de travail des gens de mer par exemple.

L’étude du discours de la presse calvadosienne sur la question navale met en exergue plusieurs points. D’abord, les enjeux de la politique navale française apparaissent disproportionnés face aux moyens mis en œuvre. Les ambitions militaires et coloniales que cette politique affiche sont incompatibles avec les moyens financiers de la France et sa participation au désarmement multilatéral. Ensuite, la presse met l’Inscription maritime au cœur de la question navale puisque le système permet de recruter des équipages de grande qualité. La question maritime (et plus particulièrement la question navale) représente un poids budgétaire tel qu’elle ne peut échapper au débat politique, bien qu’il soit difficile de critiquer l’armée à mots découverts. La presse ne cesse de mettre en rapport les ambitions navales et les moyens mis en œuvre dans ce domaine. Souvent réticente à approuver des dépenses budgétaires, elle n’exige pas moins une politique d’armement permettant à la France de préserver ses intérêts. Les questions d’ordre international comme le rapport avec la Grande-Bretagne ou avec l’Allemagne sont fréquemment traitées dans la presse. Toutes les dimensions de la question navale sont portées en débat de façon souvent critique par la presse du Calvados.

L’analyse du traitement des événements maritimes par la presse du Calvados nous permet de faire plusieurs remarques. D’abord, le Chéronisme révèle le poids des convictions politiques dans le débat sur la question maritime. Politique sociale et discipline, patriotisme et syndicalisme sont autant d’idées difficilement conciliables, et donc autant de prétextes à un débat politique dans la presse. Ensuite, la couverture du naufrage du Titanic démontre que la presse calvadosienne est complètement dépassée par un événement de cette ampleur. Si les informations erronées transmises par l’agence Havas sont responsables de ce fiasco, la presse calvadosienne ne parvient pas, contrairement à la presse parisienne, à assurer un traitement précis de la catastrophe. Véritable événement mondial aux yeux de la presse anglo-saxonne, le naufrage du Titanic n’a pas été perçu de cette façon par le lecteur calvadosien, trop mal informé. La couverture du torpillage du Lusitania n’est pas plus performante mais les conditions sont, il est vrai, plus difficiles. La presse calvadosienne comme l’ensemble de la presse française n’est plus qu’un instrument de propagande puisque la guerre idéologique y est menée avec acharnement. Certes, les enjeux de l’événement sont clairement exposés, mais la presse fournit également les ingrédients d’une polémique (qui n’a jamais éclaté) sur la responsabilité britannique dans le torpillage. Enfin, nous avons pu constater que le mythe du paquebot Normandie est construit en grande partie par la presse.

L’étude du monde maritime à travers le prisme de la presse révèle le rapport affectif du Calvadosien au monde maritime. Nous constatons également que le caractère événementiel d’un fait maritime est fortement lié à la façon dont la presse du département le traite.

Nous avons bien perçu le rapport de la presse calvadosienne au monde maritime. Pour autant, peut-on étendre nos conclusions à l’opinion publique locale ? Cette question nécessite une réponse nuancée. Il ne faut pas accorder à la presse plus d’influence qu’elle n’en a. Le traitement des événements et de l’actualité maritime ne forge pas l’opinion. Il serait aléatoire, par exemple, de considérer que l’opinion publique a adopté le même point de vue que la presse sur le naufrage du Titanic ou sur le paquebot Normandie. Néanmoins, notre étude a révélé des traits permanents dans le rapport de la presse au monde maritime. Ainsi, le rapport particulier avec les gens de mer est perceptible sur l’ensemble de la période et dans l’ensemble de la presse. Nous pouvons en déduire que le regard porté par l’opinion publique sur les gens de mer est proche de l’image transmise par la presse.

D’une façon générale, seules les observations faîtes sur plusieurs titres de presse et sur une longue période peuvent permettre de cerner le rapport de l’opinion publique calvadosienne à la mer.

Dans un troisième temps, nous avons centré notre attention sur la presse consacrée au monde maritime.

S’il y a bien eu une presse portuaire dans le Calvados, celle-ci ne peut plus être considérée comme telle sous la Troisième République. De plus, aucune publication portuaire n’est fondée durant notre période. Cette absence de presse portuaire dans la Calvados est liée au déclin socio-économique des populations maritimes mais également à la concurrence des journaux généralistes ou balnéaires. Malgré tout, cette presse de ville portuaire (cf. à Honfleur) n’a jamais perdu son ancrage maritime, fidèle à l’héritage de la presse portuaire.

La presse balnéaire connaît un destin tout autre. Née du phénomène balnéaire, elle va l’accompagner pendant toute la Troisième République. La presse balnéaire se caractérise par son existence précaire : le caractère saisonnier et la diffusion restreinte sont des éléments de faiblesse. Seul l’Echo des plages se distingue par son existence hors du commun. De la publicité aux annonces, des feuilletons aux petites histoires, la presse balnéaire se destine exclusivement aux villégiaturistes et particulièrement à la haute société. L’aventure de la presse balnéaire est donc originale dans sa forme. Elle ne l’est pas moins dans le fond. Les bains, la plage et la mer, qui sont les sujets dominants au début de la Troisième République, laissent la place aux sports et aux jeux. L’évolution du contenu de la presse balnéaire est le reflet de l’évolution de la vie balnéaire qui s’éloigne peu à peu de la plage et de la mer. Nous constatons également que la presse touristique porte une part de responsabilité dans cette évolution puisqu’elle sert la politique commerciale des établissements touristiques non balnéaires. Enfin, nous constatons que l’influence parisienne accélère la perte du caractère maritime de la presse balnéaire.

Nous avons enfin perçu les quelques faiblesses de la presse balnéaire. Son développement est freiné par la concurrence dont elle fait l’objet. La précarité financière de ces publications et l’étroitesse du lectorat aggrave les effets de cette concurrence. L’évolution du contenu de la presse touristique, qui s’éloigne de la mer, reflète l’évolution de la vie balnéaire. Malgré cette évolution, la presse balnéaire reste profondément attachée au littoral calvadosien. A cet enracinement géographique s’ajoute un enracinement social qui l’a empêchée de s’adapter au nouveau tourisme qui naît au milieu du siècle.

A l’aube de la Seconde Guerre Mondiale, la presse du Calvados et le monde maritime conservent des liens très étroits. Le monde maritime est, dans sa dimension quantitative et qualitative, une composante essentielle de l’information. En revanche, la presse balnéaire, dernière représentante de la presse maritime, connaît ses dernières heures, faute d’avoir su s’adapter à l’évolution des conditions socio-économiques. Les journaux évoqués dans cette étude ont connu des destins différents après 1939. Quels que soient leurs destins, l'ordonnance du 20 août 1944 fait table rase du passé. Elle interdit la publication de tous les périodiques ayant paru sous l'occupation allemande. L'ordonnance du 30 septembre 1944 interdit la reparution des quotidiens qui avaient continué de paraître en zone Nord après le 25 juin 1940. Cette décision a eu pour conséquence d’annihiler la presse locale au profit des grands quotidiens régionaux comme Ouest-Eclair. Par la même, nous voyons disparaître la conscience maritime qui habitait la presse calvadosienne de la Troisième république.

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