mardi, avril 18, 2006

La perte progressive de la spécialisation portuaire

Notre titre de chapitre nécessite sans doute une définition des termes de notre question. Un journal portuaire est une publication spécialisée qui ne traite que de la vie économique et sociale d’un port. Un journal de ville portuaire est un journal généraliste qui conserve, par son lieu de publication, un ancrage maritime. Comment identifier un journal maritime ? Certaines publications, peu nombreuses, se déclarent « Journal maritime ». L’Echo honfleurais, La Vigie de Deauville, L’Avenir de Honfleur et du Calvados portent l’appellation de « Journal maritime » pendant toute la durée de leur parution. En revanche, le Journal de Honfleur ne se présente comme un journal maritime que de sa création en 1829 jusque dans les années 1880. Sur notre période, le Journal de Honfleur ne porte plus l’appellation de « Journal maritime ». Tous les journaux qui se définissent comme maritimes sont des journaux portuaires à leur fondation, mais tous perdent leur caractère spécialisé au cours de notre période. Il importe donc d’étudier l’évolution de cette presse portuaire.

Après avoir établi le caractère spécialisé de la presse portuaire à ses origines, nous constaterons qu’elle devient peu à peu généraliste. Nous analyserons les causes de cette absence de presse portuaire dans le Calvados sous la Troisième République. Enfin, nous verrons en quoi cette presse de ville portuaire porte l’héritage de la presse portuaire.


Aux origines, une presse dédiée au monde maritime

La première moitié du XIXème siècle voit naître d’authentiques journaux portuaires. A Isigny, Le Navigateur (1845 – 1846) tente de s’imposer sans grand succès. Il ne parviendra pas à s’élever au dessus des querelles locales. A Honfleur, deux titres vont parvenir à s’implanter : Le Journal de Honfleur (1829 – 1911) puis L’Echo honfleurais (1840 – 1944). Ils ont à leur création un caractère maritime très marqué qu’il convient de décrire.

Les articles d’abord sont incontestablement destinés à un public initié. Le vocabulaire et les sujets traités sont assez pointus. Par exemple, en 1847, L’Echo honfleurais se félicite de la modification du système de la quarantaine qui concernait les marins revenant d’Inde ou du Levant. L’article s’adresse avant tout aux marins sans souci d’expliquer en quoi consiste cette quarantaine. D’une façon générale, l’actualité maritime est omniprésente. Le port est l’objet de toutes les attentions et on exige fréquemment des travaux et aménagements. Les débats sont parfois techniques puisqu’on discute, presque entre marins, sur le matériel employé, sur les routes de navigation, sur les techniques de pêche. La presse est le seul moyen de communication à grande échelle. Elle est donc le support des communications internes au milieu des gens de mer. Ainsi, le Journal de Honfleur (27/12/1846) publie un « Avis aux navigateurs » qui prévient les « marins et navigateurs qui fréquentent les côtes du Calvados » que des travaux ont été faits dans le port de Ouistreham. Les modifications comme l’emplacement des feux ou les modalités de circulation sont exposées dans le détail. Nous voyons donc que les articles maritimes sont ultra majoritaires dans les deux organes de presse.

L’Echo honfleurais comme le Journal de Honfleur publient une rubrique « Marine » extrêmement détaillée. Mouvements du port et chargements des navires sont retranscrits avec une grande précision, de même que la météorologie ou les hauteurs de mer. Les informations pratiques occupent une place importante dans cette presse portuaire. Bien souvent, cette rubrique « Marine » représente entre un quart et un huitième d’un numéro.

Les feuilletons sont eux aussi tournés vers la mer. Ainsi, Le Journal de Honfleur fait paraître, sur 3 fois un quart de page dans le même numéro, un feuilleton intitulé « Le Dauphin » dont le sujet principal est la pêche au hareng. En 1847, L’Echo honfleurais publie un feuilleton intitulé « Le fond de la mer, conte de matelots» qui retrace les péripéties d’un matelot. Il est difficile de dire si ces récits s’adressent réellement aux marins mais l’atmosphère est incontestablement celle des marins. Nous constatons donc que ces deux titres de la presse honfleuraise appartiennent bel et bien à la famille de la presse portuaire lors de leur fondation.

Une presse portuaire absente sous la Troisième République

Avec la Troisième République, la presse portuaire va voir son contenu évoluer peu à peu. Cette perte progressive du caractère maritime est difficile à mesurer. Néanmoins, l’étude des articles et des informations pratiques ne laissent aucun doute à ce sujet. Les informations généralistes font leur entrée dans la presse portuaire sous le Second Empire. Peu à peu, elles prennent le pas sur les articles maritimes. A tel point qu’au début de la Troisième République, il est difficile pour le lecteur calvadosien de distinguer un journal honfleurais d’un journal généraliste quelconque. En effet, la part des articles maritimes dans la presse honfleuraise de la Troisième République n’est que légèrement supérieure à la tendance caennaise qui se situe autour de 1,2 articles par numéro. Certes la presse honfleuraise publie près de deux articles « maritimes » en moyenne par numéro, mais le sujet maritime n’est plus dominant. Les informations pratiques parviennent à conserver une place importante dans la presse honfleuraise quelques décennies de plus que les articles. On y trouve la hauteur de la mer, les heures des marées et les mouvements du port de Honfleur, Trouville et de Dives. Ces informations disparaissent du Journal de Honfleur vers 1900, et de l’Echo honfleurais après la Grande Guerre. S’il existe un signe de perte du caractère maritime, la disparition des informations pratiques en est un. Un journal qui fait disparaître ce genre d’informations démontre qu’il ne s’adresse plus exclusivement aux gens de mer. La Grande Guerre marque la fin définitive de la presse portuaire dans son dernier bastion.

En réponse à cette évolution, on peut penser qu’une nouvelle génération de presse portuaire va naître. Pour le vérifier, effectuons un tour d’horizon des journaux des villes portuaires.

D’Est en Ouest, on ne peut sérieusement qualifier de villes portuaires commerciales que Honfleur, Caen et Trouville auxquelles s’ajoute Port-en-Bessin pour la pêche. Il n’est pas question ici de dresser un tableau exhaustif de la presse des villes portuaires mais seulement de relever les titres pouvant être considérés comme des journaux portuaires. A Trouville, il n’existe pas à proprement parler de presse portuaire. A Deauville, le Phare du Littoral (1903) laisse une place importante au monde maritime. Aucune information pratique n’est publiée mais les articles sur le sujet maritime sont nombreux. Néanmoins, le contenu est bien trop généraliste pour pouvoir qualifier le titre de journal portuaire. Caen est le lieu de publication de plusieurs dizaines de titres. Pourtant, pas un titre n’est dédié à l’activité portuaire. Port-en-Bessin ne dispose elle d’aucun organe de presse. Quand à Honfleur, nous avons vu précédemment que la presse qui y était publiée ne pouvait plus être considérée comme portuaire.

Nous voyons donc qu’il y a bien eu une presse portuaire dans le Calvados mais que celle-ci ne peut plus être considérée comme telle sous la Troisième République. De plus, aucun titre ne vient reprendre le flambeau de la presse portuaire. Il importe donc d’analyser les causes de cette absence de presse portuaire pendant notre période.

Aucun commentaire: