vendredi, avril 07, 2006

La presse balnéaire face au tourisme de masse

Le 20 juin 1936, le parlement vote une loi qui garantit aux travailleurs salariés 15 jours de congés payés par an. Cela signifie la fin du monopole des classes aisées dans la clientèle touristique. Or, nous savons que la presse balnéaire est destinée à un lectorat très spécifique composé par la haute société. Comment va-t-elle réagir face à ces nouveaux touristes de la fin des années trente ? La presse dans son ensemble est consciente que la plage est le théâtre de tensions sociales durant l’été 1936. Ainsi, Pol JAC, de son vrai nom FERJAC, célèbre humoriste dessinateur du Canard Enchaîné résume en un dessin l’atmosphère particulière de cet été 1936. On y voit un couple de villégiaturistes visiblement âgés qui est sur la plage. L’homme fume le cigare pendant que sa femme se baigne dans une baignoire remplit d’eau de mer. Tout deux se tiennent à bonne distance de la mer où un groupe de vacanciers se baigne. Et la femme lance à son mari : « Vous ne pensiez pas que j’allais me tremper dans la même eau que ces bolcheviks ! » Ces « bolcheviks » sont bien sûr les vacanciers des congés payés. Les classes populaires sur les plages sont vécues comme l’ultime outrage pour les classes dirigeantes. Après les grèves du Printemps 1936, les usines sont à nouveau fermées et, affront suprême, les industriels doivent tout de même payer leurs ouvriers. Une caricature de l’été 1936 parue sans doute dans l’Action Française considère que ces vacances sont une « nouvelle atrocité du Front Populaire ». Nous constatons donc que la presse réagit vivement à l’instauration des deux semaines de congés payés. Comment la presse balnéaire réagit-elle de son coté ? La seule publication paraissant en 1936 est La Plage Fleurie. De plus, le journal est un mélange d’informations générales et balnéaires. Quoi qu’il en soit, on ne perçoit aucune évolution dans le contenu de ce journal. Les congés payés et leurs conséquences ne font même pas débat. On peut donc supposer que les congés payés ne modifient en rien le contenu de la presse balnéaire. Cette hypothèse est confirmée par l’étude du contenu de l’Echo des plages. Le journal cesse de paraître en 1935 et reparaît après la Libération. Le contenu ne varie pas avec le changement de donne que sont les congés payés.

Nous constatons donc que la presse balnéaire semble impassible devant l’évolution sociale du monde balnéaire, sans doute parce que son implantation géographique l’emporte sur son implantation sociale. Néanmoins, devant l’afflux de ces nouveaux touristes, aucun journal balnéaire n’est fondé. Cela met en exergue une limite de la presse balnéaire : elle ne sait pas s’adresser aux masses. Créée pour un lectorat spécifique, elle se montre incapable d’évoluer avec la population touristique et reste enfermé dans son carcan social.

La presse balnéaire du littoral calvadosien ne peut pas être dissociée de la côte du Calvados. Malgré l’évolution de son contenu, l’air de la mer est indispensable à l’existence de ces publications. Mais elle n’est pas moins dépendante de son enracinement social. Elle apparaît figée dans cette configuration et n’a pas survécu à l’heure du vrai tourisme de masse dans les années 1950.

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