jeudi, avril 13, 2006

Le récit type d’un naufrage

Pour redessiner l’image de la mer et des gens de mer, nous devons prendre en compte plusieurs éléments. D’abord, la plupart des articles comportent une dimension mythique (idées reçues, présupposés) et une dimension véridique (exactitude des faits, arguments). Ensuite, la récurrence des idées doit être prise en compte. Dans le cas des naufrages, des idées reviennent fréquemment. Enfin, la presse prend du recul face à l’image du monde maritime qu’elle renvoie.

Dans un premier temps, nous allons faire le récit type d’un naufrage. Ensuite, nous allons analyser le regard du Calvadosien sur la mer et les gens de mer en distinguant ce qui tient de l’image et ce qui tient de la connaissance.

Le récit d’un naufrage est sans doute le meilleur reflet de l’image du monde maritime. On y trouve mêlés les craintes et passions que suscite la mer ; les normes, règles et valeurs qui régissent le milieu maritime ; mais aussi le regard porté par la presse sur ce monde maritime.

Annoncer un naufrage

Un naufrage est toujours un traité comme un petit événement par la presse du département. Il est extrêmement rare de trouver un article sur un naufrage sans titre accrocheur. L’étude des 76 articles de notre base de données annonçant un naufrage permet d’établir une liste des titres les plus fréquents. Les mots « naufrage » et « mer » sont ceux qui reviennent le plus puisqu’ils apparaissent dans 15 % des titres des articles sur un naufrage. Viennent ensuite les mots « catastrophe », « victimes », « sinistre » et « maritime ». L’annonce d’un naufrage se fait en des termes assez dramatiques dans la majorité des cas. On insiste fréquemment sur les pertes humaines : « Les victimes de la mer », « Un nouveau deuil ». On cite parfois le nom du navire quand celui-ci est connu comme le Général-Chanzy, ou le Pourquoi pas ? qui transportait la dernière mission Charcot. A l’occasion de ce dernier naufrage, la presse publie à la Une une photographie du Pourquoi pas ? (EH, 19/09/1936) lors de son départ pour la mission scientifique. Nous n’avons rencontré aucune photographie de naufrage pour une raison évidente : il est presque impossible que le photographe se trouve sur les lieux du naufrage…sans pour autant faire partie des naufragés.

Comment la presse s’informe-t-elle sur les circonstances d’un naufrage ? Il y a deux cas de figure. Dans le cas des naufrages en pleine mer, l’article se base uniquement sur le récit des survivants. Quand il n’y en a pas, on se contente d’un communiqué laconique annonçant la disparition du navire. Dans le cas d’un naufrage côtier, les sources sont plus variées. Il a bien sûr les survivants, plus nombreux lorsque le naufrage est proche de la côte. Les sauveteurs apportent également leur témoignage. Enfin, le public amassé face à la mer commente les événements minute après minute. Quand ils ne sont pas directement présents, les journalistes n’ont qu’à interroger ces trois sources principales pour connaître les circonstances d’un naufrage.

Les causes des naufrages : « Tant d’ennemis menacent les paquebots ! » (JDC, 25/07/1932)

Connaître les causes d’un naufrage est parfois difficile quand celui-ci a lieu au milieu des océans. Beaucoup de navires sont d’ailleurs déclarés perdus mais leur disparition demeure mystérieuse. Le Journal de Caen constate : « il est des vaisseaux qui disparaissent sans qu’on sache ou s’est produit leur naufrage et qu’on déclare sur les statistiques maritimes : « Considérés comme perdus par suite d’absence de nouvelles » (JDC, 25/07/32). Ces disparitions sont assez fréquentes et le journal affirme que la seule année 1910 a compté 63 naufrages de ce type. Quoi qu’il en soit, ces naufrages ne font l’objet d’aucune couverture médiatique. Parfois, un entrefilet commençant par « On est sans nouvelles du navire… » signale un probable naufrage. Toutefois, il est extrêmement délicat pour la presse de proclamer un naufrage quand aucune preuve n’étaye cette hypothèse. Heureusement pour la presse, une grande partie des naufrages est connue. Les causes de l’accident sont exposées la plupart du temps.

Les mauvaises conditions météorologiques sont à l’origine de nombreux naufrages. Le coup de mer est appelé « tempête » quelque soit l’intensité de celui-ci. Si la tempête est souvent invoquée comme cause du naufrage, elle n’est souvent qu’un phénomène aggravant. On devine alors des erreurs de navigation, parfois graves. Les abordages accidentels entre deux navires sont souvent les plus meurtriers puisqu’ils impliquent deux navires et donc deux équipages. Pourtant, les journalistes dénoncent très rarement une erreur de navigation. On écarte même catégoriquement l’erreur de navigation lorsque le naufrage est sujet à polémique. Ainsi, le Général-Chanzy se brise sur les rochers des Baléares « sans qu’aucune manœuvre ait pu sauver le navire. » (JDC, 13/02/1910). Il faut dire que le naufrage intervient alors que les détracteurs d’Henry Chéron l’accusent de nuire à la sécurité en mer par sa politique sociale. L’erreur humaine est parfois flagrante. L’aventure sous-marine est émaillée de ce genre d’incident et les négligences font parfois sourire. Ainsi, le Pays d’Auge (01/06/10) se demande pourquoi tant de submersibles coulent à cause d’une porte mal fermée ! La navigation à vapeur est également à l’origine de quelques catastrophes. Ainsi, il arrive que « les lames balayent le pont, s’engouffrent par les écoutilles des chambres des machines et éteignent les feux » (MDC, 05/03/82). Privé de ses moyens de propulsion, un navire n’a que peu de chance de surmonter une tempête. Or, une machine à vapeur s’accommode moins facilement d’un paquet d’eau de mer qu’une voile. Un autre problème posé par la navigation à vapeur provient de la composition de l’équipage. Lors de l’abordage dramatique du paquebot Duro et du steamer Irurac-Bat, un survivant affirme qu’il n’y avait sur son canot de sauvetage « que des mécaniciens et chauffeurs et pas un seul rameur » (MDC, 14/04/82). Il est vrai que les marins (proprement dits) sont de moins en moins nombreux dans les équipages. En 1910, l’équipage du Général-Chanzy n’est composé qu’à 30 % de marins.

Un équipage de marins n’est pourtant pas un gage d’absolue sécurité. En juin 1882, le Moniteur critique des marins qui ont négligé la sécurité par appât du gain. Ceux-ci avaient embarqué 32 estivants au lieu des 10 prévus par la capacité de la barque. Les conséquences sur le tirant d’eau de la barque ont été négligées et le navire s’est retrouvé dans l’incapacité de rentrer au port de Trouville à marée basse.

L’appât du gain change parfois de bord lors des attaques de pirate. La presse se fait l’écho de ces récits d’attaques de navires qui ont une dimension pittoresque. Les attaques de pirates sont rares mais redoutées (LX, 19/07/1890). Les navires capturés par les pirates, en Asie du sud-est notamment, sont pillés et souvent incendiés, ce qui provoque des naufrages meurtriers. Ceci vaut sans doute à ces pirates le mépris de la presse qui les qualifie fréquemment de «misérables» ou de « bandits».

Naufrage d’un navire en pleine mer

Dès lors que le naufrage est inéluctable, décision est prise de quitter le navire. L’ordre d’évacuation du navire est donné par le capitaine : « Aux chaloupes, criait-il, et les femmes d’abord » (MDC, 14/04/1882). S’il est une phrase qui revient systématiquement dans le récit des naufrages, c’est bien l’ordre d’évacuation « les femmes et les enfants d’abord ». L’évacuation d’un navire obéit à une hiérarchie immuable. Les femmes et les enfants rejoignent les canots en premier, suivis des passagers masculins, puis viennent les hommes d’équipage, les officiers et en dernier le capitaine. Chaque canot de sauvetage est commandé par un officier. Cette procédure théorique d’évacuation semble dans l’ensemble respectée. Le naufrage du Duro est intéressant à ce point de vue. Les passagers et le personnel des machines sont évacués mais aucun marin ne parvient à s’embarquer. Le Duro sombre « entraînant au fond de l’Océan le capitaine et les officiers » (MDC, 14/04/1882).

Dans le cas assez rare ou le navire est évacué en totalité, les survivants ne sont pas sortis d’affaire. Les canots paraissent souvent minuscules dans la tempête. La presse évoque « la frêle embarcation », « la coque de noix ». Perdu au milieu de l’océan sans moyen de communication ni vivres, un canot a peu de chance d’être retrouvé à temps par un autre navire. Bien évidement, la presse ne connaît les circonstances que des naufrages en pleine mer pour lesquels il y a des survivants.

Les sauvetages côtiers

Les naufrages côtiers sont les plus nombreux dans la presse. Ils sont bien évidement les mieux connus par la multitude de témoins exposée précédemment. Les navires destinés à la navigation côtière ne disposent pas de canots de sauvetage. Toute tentative de sauvetage vient donc de la terre. Après avoir présenté la procédure de sauvetage côtier, nous analyserons l’image du sauvetage côtier renvoyée par la presse.

Les stations de sauvetage ne disposent pas de suffisamment de volontaires pour monter la garde en permanence. Un navire en difficulté est souvent repéré par un quidam qui s’empresse de transmettre l’alerte. Se déclenche alors la procédure de sauvetage. Les sauveteurs en mer ne sont pas des professionnels du sauvetage. Ils appartiennent aux autorités portuaires, aux douanes, ou sont pêcheurs. Ils sont parfois membres d’une Société de Sauvetage. Ces sociétés de sauvetage se sont données pour mission de doter le littoral de matériels et d’équipements de sauvetage : ceintures de sauvetages, canots, filins, etc. Le sauvetage se fait le plus souvent à bord de canots à rames, la vapeur et le gros temps étant réputés inconciliables. Ces canots sont équipés de boîtes à airs ou de cloisons qui améliorent la flottabilité. Les naufragés sont hissés à bord des canots et ramenés à terre. Parfois, on tente de récupérer le navire en perdition.

Le spectacle d’un sauvetage attire une foule nombreuse : « plus de 1500 personnes avaient assisté aux péripéties de ce drame maritime. » (MDC, 05/03/82). Rien d’étonnant alors à ce que les récits de sauvetage intéressent les lecteurs et soient si nombreux dans la presse.

Le sauvetage est « un champ de bataille où l’on soustrait la créature humaine à la mort. Et quel champ de bataille est plus dangereux que la mer en courroux ?» (EH, 05/04/1882). Le sauveteur est très fréquemment assimilé à un soldat. L’idée est que ces hommes agissent par devoir et par sens du sacrifice. Le sauvetage est comparé à une bataille, à un combat contre l’océan. Lorsque cette bataille est perdue par les sauveteurs, la presse titre : « MORTS AU CHAMP D HONNEUR !". L’admiration sans borne vouée aux sauveteurs est commune à l’ensemble de la presse. Ils incarnent le sens du devoir, qualité incontestée de l’homme de la Troisième République.

Vivre un naufrage : danger, peur et courage

La description des naufrages dans la presse met l’accent sur l’émotion. La presse nous fait vivre le naufrage selon une idée récurrente : le danger révèle deux attitudes que sont la peur et le courage.

Le danger est un l’ingrédient obligatoire d’un récit de naufrage. Le navire doit surmonter « mille périls » (MDC, 05/03/82). Il est dans tous les cas « en grand danger au milieu des lames qui déferlait autour de lui » (MDC, 09/06/1882). Il est extrêmement fréquent de trouver un discours qui veut montrer un navire minuscule dans un océan gigantesque. La « frêle embarcation », la « coque de noix », sont opposés à une « mer furieuse et des lames monstrueuses » (BN, 31/03/1882). L’expression qui revient fréquemment est que le navire est le « jouet des éléments ». Cette situation où l’homme n’est plus maître de la situation, laisse le champ libre à la peur. La presse révèle que la peur dépasse les différences de condition sociale, de sexe ou de statut professionnel. Lors d’un naufrage au large de Trouville, le journaliste dresse un tableau de la bonne société parisienne embarquée : « Le tableau à bord était indescriptible : trempés, grelottants de froids, malades ; des femmes ayant pour ainsi dire perdu connaissance ; tout était sous les pieds, chapeaux de femmes, ombrelles, cravates ; les hommes eux même perdait tout esprit d’initiative. » (MDC, 05/03/82). L’idée est que tous les Hommes sont égaux devant la peur. Les gens de mer n’échappent pas à ce constat puisque lors d’un naufrage, le capitaine doit abandonner « un matelot devenu fou de peur et de désespoir » (MDC, 05/03/82). Toutefois, les gens de mer sont plus souvent remarqués pour leur courage que pour leur peur. L’ensemble des récits de naufrages et sauvetages révèle le courage des gens de mer. Ces derniers se voient parfois attribuer des qualités surhumaines : ils « se comportent en héros » et déploient des « des efforts herculéens » (MDC, 05/03/82). Comme la peur, la presse considère que le courage dépasse le cadre de la hiérarchie socioprofessionnelle. Ainsi, après le dramatique naufrage d’Honfleur d’avril 1882 au cours duquel les sauveteurs ont péris avec l’équipage du navire en détresse, l’Echo Honfleurais fustige le gouvernement qui a attribué des médailles en fonction de la hiérarchie : « on avait osé croire que le gouvernement n’aurait pas marchandé les récompenses à ces hommes qui avaient offert leur vie sans marchander leur courage. On vient parler de hiérarchie ! Ce résultat a surpris énormément les populations maritimes du Havre et Honfleur. Est-ce qu’il doit exister une hiérarchie sur un champ de bataille devant des actions d’éclat ? Et quel champ de bataille est plus dangereux que la mer en courroux ? » (EH, 05/04/1882). La presse affiche une véritable vénération pour les sauveteurs en mer. Le même article poursuit : « Oui ce sont des fous [puisque] ses hommes héroïques qui, lorsque l’Océan soulève des vagues furieuses, vont au péril de leurs vies, essayer d’arracher d’autres hommes à la mort. Ce sont ces fous là qui sont l’honneur de l’humanité. Le dévouement et le sacrifice, ils ne sont ni d’une race, ni d’un pays, ni d’un temps, ni d’une religion ou d’une philosophie. La source est plus haut, au plus profond de notre être ». Le sauveteur est celui qui brave le danger et qui surmonte la peur à laquelle nulle n’échappe. Personnage consensuel par ses qualités, il est l’incarnation vivante et quasi mystique du courage.

Les facteurs aggravants

La presse est la première à regretter les lourdes pertes humaines occasionnées par les naufrages. Elle regrette souvent les facteurs qui aggravent le bilan humain de ces accidents. Le premier facteur aggravant tient au matériel de sauvetage absent ou défectueux. Le nombre de canots de sauvetage est parfois insuffisant. Le plus connu des exemples est celui du Titanic mais il en existe d’autres. Parfois, le journaliste se contente de dire que tous les canots sont pleins mais qu’il reste des passagers sur le navire. Impossible alors de dire si le nombre de canots était insuffisant ou si certains ont été perdus lors de la tempête. Parfois, l’article précise : « Les lames balayèrent les ponts et enlevèrent deux des quatre canots de sauvetage » (MDC, 05/03/1882). Les sociétés de sauvetage réparties sur la côte ne disposent pas toujours d’un matériel efficace. La plupart des sauvetages se font à la rame et le courage de ces hommes est bien souvent leur seul outil de sauvetage. La presse est la première à critiquer les carences en matière de matériel de sauvetage. Lors de la catastrophe d’Honfleur d’Avril 1882, le Bonhomme normand dénonce le fait que les sauveteurs n’ont pas pu se servir du matériel de sauvetage mais d’une pirogue. Il regrette que la chambre de commerce s’engage seulement après les faits à réorganiser le matériel de sauvetage défectueux.

L’autre facteur aggravant tient à ce qu’un nombre non négligeable de marins ne savent pas nager. En 1882, le Moniteur raconte la chute à la mer de deux marins à deux heures d’intervalle. Dans le premier cas, « le capitaine et la matelot, ayant leur mousse qui se débattait sous leurs yeux, ne purent eux-mêmes se jeter à la mer, ni l’un ni l’autre ne sachant nager » (MDC, 14/11/1882). Dans le second, c’est un patron de barque qui se noie faute de savoir nager. Sur les 6 marins évoqués dans l’article, 3 ne savent pas nager. Cette constatation ne peut valoir pour statistique générale mais ne constitue pas un cas isolé. Beaucoup de marins refusent d’apprendre à nager pour ne pas prolonger leur agonie en cas de chute en mer.

Des moyens de sauvetage insuffisants et des marins qui ne savent pas nager, tout concourt à alourdir le bilan des naufrages.

Justifications des naufrages

Nous avons été surpris de voir que les journalistes recherche des justifications autres que les causes directes du naufrage. Ainsi, le Journal de Caen considère que le naufrage du Général-Chanzy est une « épreuve nouvelle infligée à la France par les éléments aveugles et la nature déchaînée » (JDC, 13/02/1910). Il est pour le moins surprenant de trouver ce genre d’explication presque mystique dans les colonnes du quotidien chantre de la laïcité. En 1932, le même titre évoque la « méchanceté de la mer » (JDC, 25/07/1932). Il est tout à fait fréquent sous la III ème République d’accorder une intention à la mer. Considérer la mer comme une entité dotée d’intentions et d’une volonté renvoie à la conception antique de la mer. Il ne s’agit seulement d’effets de style, le monde maritime est sans doute l’un des derniers domaines qui préserve une part d’irrationalité. Dans la civilisation du progrès qui prône la rationalité, le monde maritime conserve une dimension mystérieuse. A l’inverse, avec le naufrage du Pluviôse, sous marin de la flotte française, on lit : « Une nouvelle page s’ajoute au martyrologue de la navigation sous-marine. Les progrès de cette navigation, comme ceux de la navigation aérienne, furent chèrement achetés ; ils furent cruels à la France, initiatrice de l’un et de l’autre » (PA, 01/06/1910). On considère alors que le naufrage est le prix à payer du progrès de la navigation maritime. Justifier les naufrages par ce combat du progrès contre la nature hostile est tout à fait dans l’esprit des Lumières. On écarte le déterminisme au profit de la religion du progrès, du positivisme. On pense que le progrès technique va permettre à l’homme de dominer son environnement. Alors que le XXème siècle voit cette idée remise en cause par les intellectuels, la presse semble attachée à ce principe. Mettons-nous à la place du journaliste et interrogeons nous sur les moyens mis en œuvre pour lutter contre les naufrages.

Prévention des naufrages

Nous l’avons vu, la presse défend l’idée que le progrès technique va permettre de réduire le nombre de naufrages. Il apparaît cependant que cela reste un vœu pieux puisqu’un article de 1932 renouvelle ce vœu : « On peut heureusement espérer […] ne pas voir se renouveler les catastrophes comme celles du « Titanic » et du « Georges-Philippar ». Le génie des constructeurs, les progrès de la science, des prévisions atmosphériques, l’aide puissante de la TSF, tout concourt à nous rassurer à ce sujet » (JDC, 25/07/1932). L’idée n’est pas fausse. Ainsi en témoigne l’exemple de la TSF. Le premier brevet d’invention de la Télégraphie Sans Fil est déposé en 1874. L’opérateur Marconi va participer activement au développement de la TSF dont l’usage maritime est évident. Dans les années 1910, le système est techniquement efficace. Le naufrage du Titanic va démontrer que la TSF a permis de réduire le nombre de victimes en alertant les navires proches mais qu’elle n’a pas permis d’éviter le naufrage. Les journalistes ont bien conscience que le progrès est lent et qu’aucune solution isolée ne peut éviter les naufrages. L’apport du radar qui se généralise après la Seconde Guerre mondiale a permis de compléter la panoplie des outils de navigation.

Outre les progrès dans le domaine de la navigation, la presse encourage les aménagements littoraux permettant de mettre les navires en sécurité en cas de tempête. Il s’agit de construire un « abri pour restreindre le nombre trop considérable, hélas ! des sinistres dans la Manche sur la côte normande » (MDC, 08/05/1882). L’article souligne qu’en cas de tempête, les navires ne disposent d’aucun abri de Ver-sur-mer à Barfleur. La presse se fait l’écho d’une demande émanant du maire de Grandcamp, également président du Comité de sauvetage des naufragés. Celui-ci réclame la création d’une jetée brise lame. Le journal réclame une intervention prompte de l’Etat en remarquant que plus l’on tarde à réaliser ce projet, plus les naufrages et le nombre de victimes augmente.

En ce qui concerne les prévisions météorologiques, la presse publie sur l’ensemble de la période les avis de tempête sur l’Océan atlantique. Elle se fait également le relais des informations au sujet des épaves à la dérive.

Enfin, la prévention des naufrages passe selon la presse par une exigence accrue en matière de diplômes de navigation. La formation des marins est, nous le verrons, un souci permanent des journalistes. Ils se font également l’écho des revendications des gens de mer lorsqu’ils réclament une réglementation plus stricte en matière de diplôme permettant la navigation. Ainsi, le Moniteur publie la pétition des maîtres au cabotage de tous les ports de France qui réclament que tous les navires, sauf ceux de plaisance, soient commandés par un marin porteur du brevet de capitaine au long cours ou de maître au cabotage (MDC, 22/07/1882).

La presse rassure : « La navigation maritime, parmi tous les modes de locomotion connus et pratiqués, est un de ceux qui comportent malgré tout plus de sécurité. » (JDC, 11/01/1932)

Avec le naufrage du paquebot Georges-Philippar, le lecteur calvadosien a vu défiler dans les colonnes une série d’articles sur le naufrage. Le transport maritime risquait d’apparaître plus que jamais dangereux et incertain. Se sentant sans doute un peu responsable de ce sentiment, le Journal de Caen publie un article intitulé : « La sécurité des voyageurs en mer » qui vise à prouver que le transport maritime est parmi les moyens de transport les plus sûrs. Le journaliste entend comparer les coefficients de perte de chacun des moyens de transport. Le nombre de victimes est pondéré en fonction du nombre de passagers transportés et de la distance parcourue annuellement. Le mode de calcul de ces coefficients de sécurité n’est pas expliqué en détail mais le journaliste évoque comme source le « Bulletin technique du Bureau Veritas » pour étayer ses dires. La palme de la sécurité revient au transport ferroviaire. Le transport maritime est lui 5 fois plus risqué. Le journaliste tente de minimiser ce chiffre en affirmant qu’étant donné le nombre de passagers qui embarquent ou débarquent chaque jour, « le nombre des accidents corporels en mer est évidement très réduit ». Il rappelle également que le transport automobile fait deux fois plus de victimes que la mer, et que le transport aérien en fait 5 fois plus. Tout l’article vise à rassurer les lecteurs sur la sécurité du transport maritime : « Que les voyageurs appelés ou décidés à embarquer sur nos paquebots se pénètrent bien de cette constatation ».

Si la méthode statistique est floue, le journaliste n’hésite pas à user de techniques de persuasion censées convaincre le lecteur. Pourquoi user de tant d’arguments ? Peut être le journaliste a-t-il perçu la dégradation de l’image du transport maritime dans la presse. Sa conscience professionnelle lui aurait alors commandé de rectifier le tir. Peut-être a-t-il d’autre part reçu des pressions de la part des compagnies de transport maritime. Rappelons-nous que les compagnies de transport maritime sont sans doute parmi les annonceurs qui payent la publication des tableaux d’horaires. Il n’est pas impossible que le journaliste se soit senti obligé de redorer l’image de marque du transport maritime.

On peut donc conclure en disant que le naufrage fait de la mer un espace dangereux. Omniprésent dans la presse, le naufrage et, le cas échéant, le sauvetage est toujours un récit dramatique qui repose sur les trois piliers que sont le danger, la peur et le courage. Outre la dimension dramatique, les articles comportent souvent une part d’investigations journalistiques : analyse des causes du naufrages, propositions de solutions pour y remédier. Nous voyons enfin que la presse se rend compte que l’image du monde maritime qu’elle véhicule est négative, et elle s’efforce de la corriger.

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