mardi, avril 11, 2006

Un lectorat réceptif à l’information maritime

Notre analyse du lectorat de presse calvadosien va se faire sous deux angles. Nous allons dans un premier temps étudier le poids de héritage historique maritime sur les consciences calvadosienne. Dans un deuxième temps, nous allons nous intéresser à la répartition géographique du lectorat.

Le poids d’un héritage historique

Menée par les historiens et les érudits locaux, la réflexion sur les relations des normands avec la mer accorde une grande influence à ce que nous appellerons l’héritage historique. Cet héritage historique est avant tout un sentiment, une conviction. En effet, bon nombre de calvadosiens ont le sentiment d’être les descendants des Vikings. Le lien avec les peuplades nordiques est une réalité incontestable mais lointaine. Siegfried considère lui que le lien avec la mer est rompu : « Dans le Calvados, c’est l’esprit et le milieu terrien qui, non sans se déformer un peu, viennent jusqu’au rivage lui-même. Nulle part le marin n’imprime vraiment sa marque. Honfleur est surtout un port de commerce, Trouville un lieu de villégiature. Je vois bien quelques pêcheurs à Honfleur, Villerville, Trouville, Ouistreham et Courseulles, mais comme centres marins je ne puis sérieusement noter que Trouville, Port en Bessin et Grandcamp. »[1] Ce jugement est contestable dans la mesure où l’activité économique influence mais ne détermine pas « l’esprit ». En effet, des traces de la civilisation maritime demeurent. D’abord, le système de valeurs propre au milieu des gens de mer suscite toujours l’adhésion des calvadosiens. Le courage, l’indépendance, le respect de l’ordre hiérarchique sont autant de valeurs partagées par eux. Ensuite, on se plaît à croire que les plus belles heures de la Normandie se sont écrites en mer. Ainsi en témoigne le discours d’Henry Chéron prononcé en 1910 :

« Ici même ce sont déroulées des épopées qui peuvent compter parmi les plus fantastiques de l’humanité. De rudes gars sont partis de chez vous pour rejoindre à Dives, Guillaume de Normandie, voguant vers la conquête de l’Angleterre. D’autres ont mis les voiles ici même pour découvrir l’Amérique. Honfleur, c’est le pays des plus vaillants normands, des plus hardis marins, des plus audacieux explorateurs. »[2]

Quelles que soient la réalité et l’importance historique des ces péripéties maritimes, les calvadosiens sont convaincus de devoir une partie de leur destin à la mer. Ce sentiment entretient l’intérêt pour le monde maritime.

Répartition géographique du lectorat de presse

Une presse bien diffusée sur le littoral du Calvados

La proximité géographique de la mer ne suscite pas forcement un intérêt pour le sujet maritime. Toutefois, les populations maritimes sont plus nombreuses dans les zones littorales. De plus, s’il existe un lien affectif du calvadosien avec la mer, il doit se manifester d’autant plus sur le littoral. L’étude des zones de diffusion de la presse nous informe sur la répartition géographique du lectorat.

Il importe avant tout de préciser qu’il n’est plus possible sous la Troisième république de localiser directement le lecteur. Si l’abonnement était le mode majoritaire de vente jusqu’au Second Empire, on peut parler d’un « triomphe de la vente au numéro »[3] à la Belle Epoque. Pour localiser le lectorat, nous allons utiliser les rapports des préfets sur le colportage des journaux[4]. Nous disposons des conditions de diffusion de la presse pour l’ensemble du département pour la seule année 1893. Les informations partielles[5] dont nous disposons à d’autres dates nous permettent de penser que ces conditions de diffusion ne subissent pas de variation majeure sur notre période.

Vers 1900, on distingue deux grands pôles de diffusion[6]. Le premier pôle que nous pourrions appeler Caen-sur-mer est un triangle Luc-Caen-Ouistreham. Un marchand de journaux sur trois y exerce son activité. Le deuxième pôle qui a pour centre Trouville-Deauville est sans commune mesure avec le pôle de Caen mais il est toutefois important. Il concentre 46 marchands de journaux soit 15 % du colportage départemental. Nous voyons donc que ces deux pôles littoraux concentrent la moitié des marchands de journaux du département. Cela nous permet d’ores et déjà de constater que la presse est particulièrement bien diffusée sur le littoral du département. Toutefois, cela pourrait être le fait d’une plus grande densité de population sur le littoral. Il faut donc rapporter le nombre de marchand de journaux à la population en calculant le nombre de marchand de journaux pour 10000 habitants. Ce raisonnement ne peut être valable qu’à l’échelle d’un arrondissement. En effet, il est fréquent et notamment en zone rurale de trouver plusieurs marchands de journaux dans un bourg de taille réduite. Ainsi, Troarn compte 11 marchands pour 660 habitants. Cette forte densité résulte bien sûr du fait que ces journaux sont vendus à des lecteurs de tout le canton et pas seulement aux Troarnais. Une analyse par arrondissement confirme l’idée que les arrondissements de Caen et Pont l’Evêque (où se trouve le pôle Trouville-Deauville) sont mieux desservis par le colportage de presse. On y dénombre respectivement 11 et 13 marchands de journaux pour 10 000 habitants. Les autres arrondissements comptent entre 3 et 6 marchands pour 10 000 habitants[7].

Nous constatons donc que les arrondissements de Caen et Pont l’Evéque et plus particulièrement leurs zones littorales sont privilégiées en ce qui concerne la diffusion des journaux. Ceci nous permet de penser que les habitants des ces deux espaces littoraux sont particulièrement réceptifs à la presse. Intéressons nous donc aux populations littorales.

Les populations littorales

Il faut également constater que le poids démographique du littoral par rapport à la population du département s’accroît[8]. Ainsi, en 1939, près de 12 % de la population vit sur les 5,9 % du territoire que représente la zone littorale. Cette évolution est en contradiction avec la tendance départementale et régionale. En effet, le département perd 19 % de sa population entre 1836 et 1936 et la Basse-Normandie 28 %. Philippe DUPRE qualifie le littoral du Calvados d’ «îlot sauvegardé dans une mer de dépopulation. » Les populations littorales représentent une part croissante dans la population calvadosienne.

Pour mesurer le poids des populations maritimes dans les populations littorales, nous devons étudier la structure professionnelle des zones littorales.

Nous disposons d’une étude sur la structure professionnelle sur la côte du département du Calvados d’Isigny à Vasouy[9]. Elle met en évidence un effondrement du poids économique des populations maritimes. Si l’on considère la population utile masculine, c'est-à-dire la population en âge de travailler, nous constatons que la part de ceux qui exercent une activité maritime décroît très rapidement (voir plus haut). Ce déclin est visible de la même façon si l’on observe la population totale de la zone étudiée. Alors qu’un homme du littoral sur 10 exerce une activité maritime au début de la Troisième République, nous n’en comptons plus qu’un sur 20 en 1936.

Nous constatons donc qu’une part croissante de la population calvadosienne s’établit sur le littoral du département. Dans le même temps, la part de ceux qui y exercent une activité maritime diminue.

En conclusion, nous pouvons affirmer que la forte présence maritime dans la presse ne se justifie pas par le poids économique du monde maritime. En revanche, nous constatons que les populations maritimes font partie du lectorat de presse. Elles ont sans doute bénéficié plus que les autres du progrès social. Mais la cause principale de la forte présence maritime dans la presse est sans doute le poids d’un l’héritage historique ainsi que la répartition géographique du lectorat sur le littoral.



[1] SIEGFRIED (André), Tableau politique de la France de l’Ouest sous la Troisième République, Paris, Armand Colin, 1913.

[2] Echo honfleurais, avril 1936 – Nécrologie d’Henry Chéron, discours prononcé à Honfleur en 1910.

[3] MARTIN (Marc), La presse régionale : des Affiches aux grands quotidiens, Paris, Fayard, 2002.

[4] ADC M3161 – Police, colportages, déclarations (1900-1910).

[5] ADC T2331 – Colportages – Déclarations, 1911 – 1913.

[6] Annexe A, II, 1 : Les marchands de journaux dans le Calvados en 1893.

[7] Annexe A, II, 2 : Conditions de diffusion de la presse par arrondissement.

[8] DUPRE (Philippe), Histoire économique : la côte du Calvados (1830-1939), des activités traditionnelles au tourisme, thèse pour le doctorat de 3ème cycle, Université de Caen, 1980.

[9] Annexe C, I, 1 : Structure professionnelle sur la côte calvadosienne.

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