mardi, avril 18, 2006

Une presse destinée à un lectorat très spécifique

La presse balnéaire est publiée pour les touristes. Le seul fait qu’elle soit distribuée sur la plage en est la preuve. Le contenu même de la presse démontre qu’elle est destinée à un lectorat spécifique.


Une publicité spécifique à la presse balnéaire

Il est frappant de constater que le contenu publicitaire de la presse balnéaire est différent de celui de la presse généraliste. Nous avons vu précédemment que la publicité de la presse généraliste est fortement dépendante de la régie publicitaire de l’agence Havas et que par conséquent, les entreprises locales sont peu présentes. Dans la presse balnéaire, les annonceurs sont tous des commerçants ou des entrepreneurs locaux. Les thèmes des publicités sont également différents. On peut classer ces publicités en deux grandes familles. D’abord, l’offre de produits touristiques. Les hôtels de la côte, les agences de location ou les cafés vantent la qualité de leur accueil et de leurs services. L’hébergement des touristes est une source de revenu très importante pour les acteurs économiques locaux. Pour acheter ou louer une villa, les touristes peuvent avoir recours aux agences immobilières de la côte. Mais tous les touristes, mêmes riches, ne possèdent pas de villa. Ils séjournent alors dans les hôtels. Les hôtels prestigieux n’ont guère besoin de la publicité pour remplir leurs chambres. Les hôtels de moindre réputation voient dans la publicité balnéaire le moyen de se faire connaître. La seconde famille publicitaire est constituée par les biens et services de luxe. Bijoux, chaussures et vêtements fins, coiffure et chapeaux, sont autant de produits qui pourrait intéresser le touriste. La principale caractéristique du touriste de la Troisième République est de disposer d’un fort pouvoir d’achat même si cela est moins vrai dans les années 1930. Le touriste est un client potentiel pour tous les produits de luxe. L’autre gamme de produits est celle des objets nécessaires aux bains de mer. L’article de bain de mer est sans doute l’achat touristique par excellence puisque le baigneur y voit un objet pittoresque.


La presse balnéaire a l’immense avantage de vendre aux annonceurs publicitaires un lectorat très spécifique qui se caractérise par sa demande en biens et services touristiques et son fort pouvoir d’achat. En 1888, l’Echo de la Plage affirme : « J’espère que vous tous, commerçants, vous lui enverrez vos réclames ; propriétaires de terrains, villas, propriétés, au moyen d’annonce nombreuses et répétées, semées à profusion sur Paris et dans le monde des baigneurs, il vous en favorisera la location ou la vente » (Echo de la plage, 1er numéro, juillet 1888) En conséquence la quasi-totalité de l’offre publicitaire dans la presse balnéaire et destinée aux touristes.

En matière publicitaire, le Paris-Trouville et Gazette des Bains est une entreprise pour le moins originale. Le destinataire de cette feuille est le touriste parisien comme l’annonce le titre. Son format assez petit (24cm × 32 cm) et sa reliure à droite en font certainement un objet rare mais rien n’est plus surprenant que son contenu. La quasi-totalité pour ne pas dire la totalité des quatre pages du journal contient des publicités. Le bref éditorial du premier numéro ne fait pas illusion puisque aucun article n’est publié par la suite. On y trouve des publicité diverses et variées dont la plupart, comme dans les autres journaux balnéaires, concerne le tourisme ou la vente de produits et services de luxe. On y trouve également des informations pratiques comme les horaires d’ouverture du bureau de poste de Trouville, les horaires des courses ou les rendez-vous de la vie mondaine. Plus surprenant encore, le journal laisse parfois des colonnes vides, à la manière des journaux de la Grande Guerre protestant contre la censure. N’importe quel touriste peut avoir été dérouté par ce prétendu journal balnéaire qui n’est en fait qu’une feuille publicitaire identique toutes les semaines. Sans doute bien vite démasqué, le journal ne paraîtra que pendant l’été 1897.

Pour évaluer l’importance des recettes publicitaire, prenons l’exemple de l’Echo des plages. En 1927, les recettes publicitaires du journal s’élèvent à 300 Francs par numéro[1]. Si cela représente un gain inespéré pour bon nombre de publications, cela ne représente guère que 5 % du chiffre d’affaire de l’Echo qui perçoit la majeure partie de ses recettes de la vente de ses 55 000 exemplaires. En revanche, L’Echo de la plage (1888) déploie des efforts importants pour séduire les annonceurs publicitaires. Le journal annonce « distribuer 5000 exemplaires du journal dans toutes les grandes administrations financières, commerciales et industrielles, chez les principaux propriétaire de la Ville de Paris et dans tous les châteaux de France ». Ces efforts pour conquérir les marchés publicitaires témoignent de la nécessité de ce type de recettes pour les petits journaux.

La publicité est donc indispensable à l’équilibre financier des petites publications mais n’est en aucun nécessaire à un journal à succès.

Un organe de communication interne à la société balnéaire

Les baigneurs utilisent la presse balnéaire comme moyen de communication de diverses façons. D’abord, le touriste a recours aux petites annonces. Quoi de mieux que ces publications pour vendre ou louer des produits qui n’intéresse que les classes aisées. Que l’on vende des chiens de race ou que l’on loue son écurie, la presse balnéaire est le meilleur moyen de le faire savoir. Bon nombre de villas changent de propriétaire via la presse touristique. La presse balnéaire est sans doute la seule à disposer d’un lectorat aussi spécifique. Comme pour la publicité, celui qui veut vendre un bien de luxe ou d’une utilité à la vie balnéaire est sûr de trouver un acheteur potentiel dans le lectorat touristique. Ensuite, la presse est un formidable vecteur d’informations pour la haute société. La liste des étrangers est un exemple du rôle de la presse dans la vie de la société balnéaire est l’équivalent du terme normand horsain, il désigne toutes les personnes qui ne sont pas calvadosiennes. Publier la liste des étrangers présents dans les stations balnéaires de la côte est un rituel présent dans l’ensemble des journaux balnéaires. Ces villégiaturistes célèbres sont classés par ordre de notoriété. Par exemple, en juillet 1894, Le Lutin est heureux de nous apprendre que le «baron Alphonse de Rothschild est à la cité Belle Plage de Saint Aubin ». Les membres de l’aristocratie, les familles bourgeoises, les hommes politiques, les artistes sont annoncés dès leur arrivé sur la côte. Quel est le sens de cette liste des étrangers ? Pour la presse, la venue de personnage, connus et reconnus, est un gage de la valeur touristique de notre région. Cette liste est un peu le baromètre de la réussite d’une saison touristique. Pour les personnalités, être cité sur la liste témoigne du fait que l’on appartient au monde, que l’ont fait partie des gens qui compte dans la haute société. Il n’est d’ailleurs pas rare que certaines personnalités préviennent indirectement la presse balnéaire afin que celle-ci répande la nouvelle.

Publier la liste des étrangers est devenu la principale motivation du Trouville-Deauville (1907-1914). Le journal offre un contenu proche de la presse balnéaire et y ajoute des « informations du monde entier ». En 1913, il adopte le sous titre de Journal des Etrangers et entend publier une liste officielle des étrangers présents dans les stations. Le journal est la propriété du journal parisien Le Figaro qui tente de crée une nébuleuse de « journaux mondains ». Outre le Trouville-Deauville, Le Figaro possède également le Soleil de Nice – Journal des Etrangers.

La liste des étrangers peut être assimilée à un bottin mondain, un élément important de la sociabilité balnéaire.

Nous percevons donc l’immense utilité de la presse balnéaire dans la société balnéaire. Porte-parole ou simple vecteur d’information, cette presse est bien destinée au lectorat très « select » de la haute société en villégiature.

Des feuilletons et des petites histoires

Les feuilletons publiés dans la presse balnéaires sont dans leur grande majorité inspirés de la vie balnéaire ou maritime. Le 4 août 1889, Caen-Bains de mer publie un feuilleton intitulé « Tout est bien qui finit bien » qui met en scène les mésaventures de touristes dans la région. Les touristes se régalent de feuilletons prétendus pittoresques, ou en tous cas reprenant l’image qu’ils ont du pêcheur calvadosien. Ainsi, on lit un feuilleton dont le titre est « La Mort du Pêcheur ». Ce feuilleton a été rédigé par un lecteur nommé G. PERMANECK à la suite d’un « concours d’esprit » organisé par le journal Caen-Bains de mer en septembre 1889. L’histoire est celle d’un pêcheur trompé par sa femme alors qu’il était à la pêche. Apprenant la nouvelle, le pêcheur part à la recherche de l’amant et finit dans un cabaret où il s’enivre. Le lendemain, alors qu’il scrute la mer, il voit l’amant de sa femme en train de se noyer. Le pêcheur plonge et rejoint l’amant. Au lieu de la sauver, il l’agrippe et l’entraîne avec lui au fond de l’eau. Cette histoire est très révélatrice de l’image du pêcheur normand. C’est un homme orgueilleux qui préfère la mort au déshonneur… quand il ne tombe pas dans l’alcool. Tous les feuilletons présents dans la presse balnéaire veulent révéler les aspects pittoresques de la côte du Calvados.

A ce trait pittoresque s’ajoute un trait d’humour ou d’esprit qui fait la fierté de la presse balnéaire. Le Sable se plait à rappeler que « le vieux rire gaulois n’est pas éteint quoi qu’on en dise et fut-il éteint que nos collaborateurs seraient assez audacieux pour prétendre le rallumer à l’éclair de leur esprit » (Le Sable, 03/07/1902). Les traits d’esprit sont extrêmement fréquents dans la presse balnéaire. L’exemple le plus frappant est la publication d’un feuilleton intitulé « Un homme à la mer » dans Caen-Bains de mer en septembre 1889. Celui ci se présente comme une chronique quotidienne d’une semaine à Arromanches : un baigneur décide de prendre un dernier bain avant de regagner Paris. Il passe la journée à attendre le moment propice pour se baigner mais le froid et le vent l’en dissuadent. Il observe « une de ces belles Normandes » qui pêche la crevette avec de l’eau jusqu’au genoux. Pour ne pas se sentir moins courageux que la pêcheuse, il finit par prendre un bain. Et il conclut : « L’eau était en effet excellente…. pour les rhumes ». Même si elle doit égratigner un peu l’orgueil calvadosien concernant le climat, la presse balnéaire s’illustre par son sens de la dérision.

Enfin, le spectacle des plages calvadosiennes réveille parfois les talents poétiques des touristes. Les journalistes s’empressent alors de faire paraître ces compositions. Le lecteur voudra bien juger du caractère balnéaire de l’inspiration qui s’éteint par : « Mais la sirène, aux matelots sourit toujours… Et la baigneuse se cache soudain dans les flots au moindre bruit toute honteuse »[2]. (Echo de la plage, juillet 1911).

Sur l’aventure de la presse balnéaire, nous pouvons tirer plusieurs conclusions. La presse balnéaire se caractérise par son existence précaire. Le caractère saisonnier et la diffusion restreinte sont des éléments de faiblesse. Ce caractère saisonnier a d’ailleurs pour conséquence un rituel à la fin de chaque saison : quelques lignes adressées au lecteur pour lui dire au revoir et espérer le retrouver l’année suivante. Beaucoup de ces publications ne passant pas l’hiver, ces « au revoirs » sont bien souvent des adieux. Seul l’Echo des plages se distingue par sa longévité hors du commun. De la publicité aux annonces, des feuilletons aux petites histoires, la presse balnéaire se destine exclusivement aux villégiaturistes et particulièrement à la haute société. L’aventure de la presse balnéaire est donc originale dans sa forme. Elle ne l’est pas moins dans le fond. Il importe donc d’examiner le contenu des articles présents dans ces publications balnéaires.


[1] Ce montant de recette publicitaire est une évaluation effectuée à partir des deux premiers numéros de chaque mois de l’année 1927.

[2] Pour le plus grand plaisir des amateurs de poésie, l’intégralité du poème est retranscrite dans la revue de presse à la fin de la partie III.

Aucun commentaire: