Le monde maritime est, nous l’avons vu, très présent dans la presse généraliste calvadosienne. Pour comprendre les raisons de cette forte présence, nous allons avancer trois hypothèses : le monde maritime a un poids économique important dans le département ; les populations maritimes sont parmi les bons lecteurs de presse ; le lectorat est particulièrement réceptif à l’information maritime.
La présence du monde maritime dans la presse est-elle le reflet des activités maritimes du département ? Cette question pourtant simple nécessite une réponse nuancée. Il est extrêmement aléatoire de mesurer le poids d’un secteur économique aussi diversifié que le secteur maritime. Pourtant, nous pouvons apporter des éléments de réponse sur un certain nombre de points précis. L’histoire économique du littoral calvadosien a fait l’objet d’une étude particulière réalisée par Philippe DUPRE[1]. Il importe de mettre en relation la présence dans la presse du monde maritime avec l’activité économique à laquelle elle se rapporte. Nous allons dans un premier temps évoquer les informations pratiques pour ensuite évoquer les articles et le thèmes présents dans la presse.
Les informations pratiques
Le mouvement des ports ainsi que les horaires destinés aux passagers des transports maritimes sont présents sur l’ensemble de la période dans la presse quotidienne caennaise. Ces informations pratiques disparaissent des colonnes du Moniteur dans les années 1930. Elles demeurent dans le Journal de Caen mais celui-ci réduit la fréquence des informations pour les passagers. Comment expliquer cette diminution de la présence des informations pratiques?
Le trafic marchandises du port de Caen ne fait que s’accroître tout au long de la période[2] : 325 000 tonnes en 1880, 1 100 000 tonnes en 1913, 2 200 000 tonnes en 1937 (soit le maximum de la période). S’il y a bien une stagnation du trafic autour de 1,8 millions de tonnes dans les années 1930, Caen atteint tout de même le rang de 7ème port français dans l’entre-deux-guerres. La disparition du mouvement du port dans le Moniteur ne se justifie donc pas par l’activité du port. Peut être devons nous chercher une explication en rappelant les destinataires de ces informations. D’abord, considérons les acteurs économiques du trafic portuaire que sont les armateurs et les affréteurs. Un accroissement du trafic laisserait supposer que ces acteurs de plus en plus nombreux. Mais un élément vient infirmer cette hypothèse. Notre période voit le port de Caen se spécialiser de plus en plus à tel point que Gabriel DESERT parle de double vocation dans les années 30 : houillère (93 % des importations) et minière (77% des exportations). Le Société Navale Caennaise transporte a elle seule 95 % du tonnage annuel. Ainsi, si le trafic s’accroît, le nombre d’intervenant économique dans ce trafic diminue.
L’autre destinataire de ces informations est l’entourage des marins embarqués. Or, le nombre de marins ne fait que décroître sur notre période. Alors qu’ils représentent 14 % des populations littorales en 1876, ils en représentent 10 % en 1906 et 5,8 % en 1936[3]. Les marins embarqués étant moins nombreux, leur entourage susceptible de s’intéresser aux mouvements des ports est amoindri.
Nous voyons donc que la présence du mouvement des ports dans la presse est liée, non pas au trafic portuaire, mais au poids des destinataires de ce type d’information dans le lectorat.
Pour ce qui est du trafic passager, Caen est un port de second ordre. Avant la Grande Guerre, son trafic ne dépasse guère 20 000 passagers par an soit 16 fois moins que le port de Trouville. Le trafic voyageur du port de Caen ne justifie en aucun cas et à aucun moment de la période la présence des horaires dans la presse. Pourquoi cette présence alors ? Nous pouvons supposer que les compagnies de transport maritime utilisent les tableaux d’horaires comme une publicité. Les compagnies achèteraient alors un espace dans la presse pour publier leurs horaires. Cette hypothèse est confortée par le fait que les compagnies de transport qui publient leurs horaires n’ont pas recours à la publicité. Les archives des journaux n’étant pas conservées, nous ne pouvons vérifier cette hypothèse. Quoi qu’il en soit, il n’y a pas de lien direct entre le trafic passager et la présence d’informations sur le transport passager dans la presse.
L’exemple du port de Caen montre qu’il n’existe pas de lien direct évident entre l’activité économique maritime et la présence d’informations pratiques dans la presse.
Les articles et les thèmes
Les gens de mer
Nous avons vu précédemment que le thème des gens de mer fait l’objet d’un article tous les 7 à 9 numéros en moyenne sur la période. Nous avons remarqué un intérêt constant pour ce sujet tout au long de notre période en dehors des années d’engouement liée au Chéronisme. L’existence d’un lien direct entre l’économie maritime et la présence du sujet dans la presse supposerait un poids économique des populations maritimes constant sur notre période. Il convient de vérifier cette hypothèse. Nous disposons d’une étude partielle sur la structure professionnelle sur la côte du département du Calvados d’Isigny à Vasouy[4]. Elle met en évidence un effondrement du poids économique des gens de mer. Si l’on considère la population utile masculine, c'est-à-dire la population en âge de travailler, nous constatons que la part de ceux qui exercent une activité maritime décroît très rapidement comme nous l’avons vu dans le paragraphe précédent. Ce déclin est visible de la même façon si l’on observe la population totale de la zone étudiée. Alors qu’un homme du littoral sur 10 exerce une activité maritime au début de la Troisième République, nous n’en comptons plus qu’un sur 20 en 1936. Si le poids économique des gens de mer justifie certainement une présence de ce sujet dans la presse au début de notre période, ce n’est rapidement plus le cas. Pourquoi la presse continue-t-elle à s’intéresser au gens de mer ? La réponse à cette question se trouve peut être dans le lien entre les gens de mer et la question navale. En effet, la course à l’armement de l’entre-deux-guerres a deux dimensions : l’amélioration qualitative et quantitative de la marine de guerre ; le recrutement de l’armée de mer lié à l’inscription maritime. Or, l’inscription maritime est système qui accorde des privilèges économiques et sociaux contre des devoirs militaires. L’un ne va pas sans l’autre et la question du recrutement ne peut être détachée des conditions de vie et de travail des gens de mer.
Si le poids économique des gens de mer diminue, leur rôle militaire est plus que jamais au cœur du débat sur la puissance navale au cours de la Troisième République. Ce maintien du rôle crucial de l’inscription maritime justifie la présence constante du thème des gens de mer dans la presse.
De la pêche au tourisme
Le sujet de la pêche est assez peu présent sur notre période. Il ne représente jamais plus de 5% des articles maritimes à l’exception des années 1930 où il représente 10% de ces articles. Ceci nous laisserait penser que la pêche est une activité en expansion dans les années 30. Or, le lent déclin de la flotte de pêche du Calvados témoigne de la régression de ce secteur. Le tonnage total de cette flotte est en chute libre dans la période qui précède la Grande Guerre : il baisse de 8% entre 1900 et 1905 puis de 20% entre 1905 et 1910. Dans l’entre-deux-guerres, le tonnage total se stabilise mais le nombre de barques continue de baisser par effet de l’augmentation du tonnage individuel des navires. Nous voyons donc que le déclin de l’activité de la pêche ne transparaît pas dans la présence du thème dans la presse.
Le sujet du tourisme balnéaire est un peu dans le même cas de figure dans la mesure ou il représente entre 2 et 5% des articles maritimes. Il connaît un regain d’intérêt juste après la Grande Guerre avec 14% des articles maritimes mais retrouve rapidement sa faible présence dans les colonnes. Philippe DUPRE constate qu’au XXème siècle, « le tourisme balnéaire est l’activité la plus importante avec une forte progression due à l’accession des classes moyennes à la villégiature balnéaire »[5]. Cette croissance ne se reflète absolument pas dans la présence du thème dans la presse, si ce n’est sa forte présence. A quoi correspond cette exception ? Le tourisme renaît incontestablement et tente de satisfaire les nouvelles exigences en matière de loisirs d’une clientèle de plus en plus nombreuse. La presse reflète alors le dynamisme de ce secteur d’activité. Mais en dehors de cette période, l’activité littorale la plus importante qu’est le tourisme est sous-représentée dans la presse.
L’économie du littoral calvadosien se caractérise par un déclin de la pêche et par un essor du tourisme. La présence dans la presse de ces thèmes ne reflète pas cette évolution. Il conviendra plus tard de voir si les journalistes, eux, l’ont perçue.
Il n’existe pas de lien direct entre l’activité économique maritime et la présence du monde maritime dans la presse. Cette hypothèse écartée, on peut justifier cette forte présence par le fait que les populations maritimes font partie du lectorat de presse.
[1] DUPRE (Philippe), Histoire économique : la côte du Calvados (1830-1939), des activités traditionnelles au tourisme, thèse pour le doctorat de 3ème cycle, Université de Caen, 1980.
[2] DESERT (Gabriel), Histoire de Caen, Toulouse, Privat, 1981.
[3] DUPRE (Philippe), op. cit.
[4] Annexe B, I, 1 : Structure professionnelle sur la côte calvadosienne, d’après DUPRE (Philippe), op. cit.
[5] DUPRE (Philippe), Histoire économique : la côte du Calvados (1830-1939), des activités traditionnelles au tourisme, thèse pour le doctorat de 3ème cycle, Université de Caen, 1980.
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