mardi, avril 11, 2006

Une présence inégale selon les titres

Le monde maritime est présent de façon quasi-systématique dans la presse quotidienne caennaise. Plus de 9 numéros étudiés sur 10 comprennent au moins un élément à caractère maritime. Cette présence est plus diluée mais toujours importante dans l’hebdomadaire, puisque la vie maritime est présente dans 65 % des numéros du Bonhomme. Comment expliquer cette inégale présence ?

L’influence relative de la zone de diffusion

Le taux de présence des articles, des annonces, de la publicité et des quelques lignes n’est guère différent selon la zone de diffusion. En revanche, l’information pratique est quasiment absente de Bonhomme normand alors qu’elle est présente dans 70 à 80 % des numéros des quotidiens caennais[1]. Certes, le caractère hebdomadaire de la diffusion oblige à une grande rigueur dans le choix du contenu du journal. La rédaction du Bonhomme privilégie sans doute les articles au détriment de l’information pratique. Mais l’explication principale tient à la zone de diffusion. Le Bonhomme normand est diffusé dans tout le département et, de plus, est particulièrement bien implanté dans les zones rurales. La part des usagers de la mer est donc potentiellement moins importante dans le lectorat du Bonhomme. Nous constatons que les horaires des transports maritimes ne sont publiés que dans les zones où les voyageurs réguliers sont présents, c’est à dire dans une large zone littorale.

Plus surprenant est la publication du mouvement des ports. Il est logique de trouver le mouvement des ports dans les journaux des villes portuaire, comme Caen, Honfleur ou encore Trouville. Il est compréhensible de trouver de façon épisodique le mouvement du port de Port-en-Bessin dans la presse bayeusaine puisqu’il n’existe aucun journal dans la ville portuaire. Il est beaucoup plus étrange de trouver le mouvement du port de Trouville dans le Lexovien de 1910 alors que la presse de Trouville s’en est déjà faite l’écho. Il semble que la vie portuaire intéresse les milieux industriels et commerciaux de tout le département. Nous vérifierons cette hypothèse en étudiant ultérieurement le poids économique du monde maritime dans le département.

L’information pratique maritime dans son ensemble n’est pas diffusée de la même façon suivant son destinataire. Les journaux diffusent tel ou tel type d’information pratique en fonction du lectorat. C’est donc bien plus le rapport du lectorat avec le monde maritime qui détermine la présence d’informations pratiques plutôt que la zone de diffusion. Mais les deux sont liés, bien évidemment.

Nous avons vu que la présence de l’information pratique varie en fonction du lectorat. On aurait pu supposer une présence des articles maritimes obéissant aux mêmes règles. Or, on constate que cette information maritime sous forme d’articles est présente dans 60 à 65 % des numéros quel que soit le lieu de diffusion[2]. Comment expliquer cette homogénéité de la présence du monde maritime à l’échelle du département ? On peut avancer deux explications. D’une part, une grande partie du contenu d’un journal est imposée par l’actualité et ne dépend pas de la rédaction. Et il est vrai que l’actualité maritime internationale, nationale et même locale est particulièrement dense sous la Troisième République. Dans ce cas, l’information maritime s’impose à tous les journaux quel que soit leur lieu de publication. D’autre part, les journaux caennais et surtout le Moniteur du Calvados et le Journal de Caen ont une influence considérable dans le contenu des journaux du département. En traitant de l’information maritime dans deux numéros sur trois, ils ont en quelque sorte intéressé l’ensemble de la presse au monde maritime. Cette influence est tout de fois à nuancer pour les journaux résolument ancrés dans l’espace rural comme ceux du Bocage virois par exemple.

Nous pouvons donc constater que la zone de diffusion influence mais ne détermine pas complètement la présence maritime dans la presse. Par son actualité immédiate ou son poids économique, le monde maritime s’impose à la presse. Le lieu de publication semble donc secondaire pour expliquer la présence maritime dans la presse. Mais ce constat d’ensemble se vérifie-t-il dans le cas des éditions locales ? Nous devons nous interroger sur la présence du monde maritime dans les éditions locales des zones littorales.

Les éditions locales en zone littorale

Une édition locale est une émanation locale d’un journal de diffusion plus large. Il ne s’agit en aucun cas de titres locaux indépendants. Cela revient à adapter le contenu éditorial d’un journal à la zone de diffusion. Dans le cas des éditions littorales, le monde maritime devrait donc y être plus présent. Pour vérifier cette hypothèse, nous allons étudier une nébuleuse de feuilles locales de Villers à Ouistreham Riva-Bella : les Avenirs. Toutes ces feuilles sont la propriété de Raymond Percepied qui est également propriétaire et imprimeur de la Vallée d’Auge. Il a fondé dans un premier temps (en juin 1895) un Avenir à Beuzeval, à Dozulé et à Dives. Ouistreham et à Villers disposes de leur Avenir en 1900.

Dans le premier numéro de l’Avenir de Ouistreham et de Riva Bella du 4 mai 1900, la rédaction explique les raisons qui ont motivé la création de cette édition locale.

« Ouistreham et sa jeune sœur Riva Bella prennent depuis quelques années une importance considérable. Le port de Ouistreham et la plage de Riva Bella méritaient bien d’avoir un défenseur de leurs intérêts ». Selon la rédaction du journal, la fondation de l’édition locale est due au développement du bourg. Défendre les intérêts des deux pôles d’activités maritimes que sont le port et la plage est l’objectif principal du journal. Nous pouvons donc imaginer un journal qui laisse une large place à l’actualité locale et à la vie maritime.

Les premiers numéros de journal font un effort dans ce sens. De façon tout à fait traditionnelle, la Une est occupée par l’actualité nationale et internationale. La chronique régionale, qui reprend l’actualité commune par commune, débute par Ouistreham. Puis vient Caen ainsi que les autres villes du département. Un long article à la Une intitulé « Chronique normande » est consacré à un aspect particulier de la civilisation locale. Ainsi, on raconte l’Histoire de Ouistreham. On s’interroge sur l’origine du nom de la commune. On se rappelle les héros locaux comme le fameux Michel Cabieux qui « repoussa seul une attaque anglaise sur le port de Ouistreham en 1762 » (AVO, 05/00). Le caractère local de l’édition se manifeste également par la présence des horaires de la Compagnie Normande de navigation à vapeur. Seuls les horaires de départ et d’arrivée au port de Ouistreham sont indiqués, ce qui démontre que l’information est destinée spécialement aux habitants du bourg côtier. Il y a une présence faible mais notable de publicités pour des établissements locaux. Ainsi, l’Hôtel du Tramway à Riva Bella vante le prix de ses pensions. Toutefois, ces quelques efforts pour refléter la vie locale et la vie maritime sont insuffisants. Le mouvement du port de Ouistreham n’est pas présent. Le contenu du journal est quasiment identique à celui de La Vallée d’Auge, le grand journal de Raymond Percepied dans l’arrondissement de Pont l’Evêque.

En réalité, ces éditions n’ont de local que le nom. Après quelques semaines de parution, chaque Avenir devient une simple copie de la Vallée d’Auge. On pourrait donc que croire que le monde maritime n’est pas plus présent dans ces éditions littorales. Pourtant, le monde maritime est bien plus présent dans la Vallée d’Auge que dans le reste de la presse. Cette forte présence s’explique par le fait que le journal évoque l’actualité de l’arrondissement de Pont l’Evêque mais aussi celle des communes du littoral du département de Honfleur à Langrune-sur-mer. La vie maritime occupe une place nécessairement plus importante dans ces communes littorales.

Si le contenu des Avenirs est identique à celui de la Vallée d’Auge, pourquoi Raymond Percepied persiste-t-il à publier ses prétendues éditions locales ? Nous constatons que ces éditions locales sont lancées en mai ou juin. Nous constatons également que les fondations d’Avenirs correspondent au développement des stations balnéaires. A mesure que le tourisme gagne du terrain vers l’ouest, des Avenirs sont implantés. Ceci nous éclaire sur le public visé par l’Avenir. On mise sur le caractère pittoresque du journal local pour séduire le touriste parisien. L’imprimeur affirme d’ailleurs prendre pour modèle la presse parisienne. Nous voyons donc que la nébuleuse des Avenirs est une technique mercatique d’expansion de la Vallée d’Auge et non pas une réelle suite de feuilles locales. Si cela lui enlève beaucoup d’intérêt, sa couverture du littoral ne laisse pas moins une large place à l’information maritime.

Pour conclure sur la variation de la présence maritime dans l’espace et dans le temps, on peut faire plusieurs constats. D’abord, l’information maritime, dans sa forme et des ses thèmes, est soumise au rythme saisonnier des activités maritimes. Ensuite, la zone de diffusion des journaux influence grandement la présence maritime, surtout dans le cas des informations pratiques. Il faut noter que les grands titres ont une action sur la présence maritime dans la presse. La presse quotidienne caennaise, par son audience, intéresse les journaux du département au monde maritime. La Vallée d’Auge, elle, contribue incontestablement à l’information littorale.



[1] Annexe C, I, 1 : Ventilation de la présence maritime dans la presse.

[2] Annexe C, I, 1 : Ventilation de la présence maritime dans la presse.

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