dimanche, avril 09, 2006

L’influence parisienne


Le Second Empire a fait de la Normandie en général, et du Calvados en particulier le domaine réservé de l’influence parisienne. Cette influence, réelle ou prétendue, ne se dément pas en matière de presse. Il importe donc de mesurer cette influence en évoquant les principaux titres de la presse parisienne diffusés dans le département.

Les grands titres parisiens

L’influence de la presse sur l’opinion va naître de la conquête des masses amorcée par les quotidiens parisiens. Ces journaux populaires vont appliquer une recette simple : vente au numéro et à faible prix, neutralité politique.[1] En 1914, quatre quotidiens parisiens tirent à plus d’un million d’exemplaires chacun et sont diffusés dans toute la France : Le Petit journal, Le Petit Parisien, Le Matin et Le Journal. Le Petit Journal est le plus ancien puisqu’il voit le jour en 1863. Il devient le premier quotidien populaire en appliquant une recette simple : un prix bas (le numéro coûte un sou) et un mélange de faits divers et d’illustrations. Ajoutant l'image au texte, il crée en 1889 un supplément hebdomadaire illustré, dont les dessins, saisissants de réalisme, ont fasciné le public des années durant. Le Petit Journal contribue à renforcer la République et tend vers le nationalisme à la fin du siècle. Il se vante à juste titre de tirer à 5 millions d’exemplaires à la fin de notre période. Le Petit Parisien est un quotidien fondé en 1878. Il défend une république laïque et socialement modérée[2]. Son succès éclate pendant l’Affaire Dreyfus. Il est conforté par ses reportages à travers le monde. L’un de ces reporters est A. Londres, dont nous reparlerons puisqu’il meurt dans l’incendie du paquebot Georges Philippar dans la nuit du 16 au 17 mai 1932. Le Petit Parisien tire jusqu’à 3 millions d’exemplaire et peut se vanter d’être le premier tirage quotidien de la Troisième République, avant d’être dépassé par Le Petit Journal dans les années 1930. Le Matin est fondé en 1884 par Sam Chamberlain, un Américain. Il applique les techniques journalistiques américaines en privilégiant les nouvelles brèves. Le quotidien défend des positions de Centre-droit avec un penchant moraliste. Pourtant, il est connu pour user de corruption et pour son implication des les scandales comme celui de Panama. Créé en 1892, le Journal applique une recette similaire à celle du Matin avec des informations brèves. Il y ajoute cependant des rubriques culturelles sur le théâtre, la littérature, les expositions.

Il est nécessaire étudier la diffusion des journaux parisiens auprès du lectorat calvadosien.

La presse parisienne et le lecteur calvadosien


Pour mesurer l’influence de cette presse, il faut étudier les conditions de diffusion de la presse parisienne dans le Calvados. Le département est bien relié à la capitale par le chemin de fer. Quatre heures seulement sont nécessaires pour aller de Caen à Paris vers 1900. L’ensemble des chefs-lieux du département est relié à Paris. La liaison avec Paris n’implique pas forcement une grande pénétration de la presse parisienne mais c’est une condition nécessaire. Il importe d’évaluer la part des journaux parisiens dans les kiosques calvadosiens[3].

Nous constatons d’abord que la presse parisienne est particulièrement bien diffusée dans le Calvados. Elle ne représente jamais moins d’un tiers des numéros diffusés dans le département. Les arrondissements de Lisieux, Bayeux et Falaise sont ceux qui laissent le moins de place à la presse parisienne. Elle y représente entre 30 et 40 % des journaux reçus quotidiennement. Vire et Caen apparaissent comme des lieux d’équilibre entre presse parisienne et presse locale. L’arrondissement de Pont l’Evêque s’avère lui submergé par la presse parisienne qui représente 63 % des numéros diffusés. Nous constatons également que la presse locale ne déserte pas devant la déferlante parisienne. Les arrondissements les plus soumis à la concurrence parisienne, Caen et Pont l’Evêque, sont également ceux où la presse locale est la plus dynamique. La concurrence parisienne en matière de presse est donc positive puisqu’elle stimule la presse locale. Quels que soit les efforts de diffusion déployés, la presse parisienne ne joue pas à armes égales avec la presse locale dans la conquête du lectorat. En effet, le Calvadosien de la Troisième République conserve la méfiance voire la défiance vis-à-vis des idées de Paris. Cette méfiance est difficilement mesurable mais très perceptible. En ce qui concerne la presse écrite, cela se traduit par une fidélité aux titres locaux.

L’influence parisienne ne se limite pas à la diffusion de ces journaux dans le département. L’influence la plus grande car moins visible est sans doute celle exercée par l’agence de presse Havas. Une agence de presse est un organisme qui collecte l’information sous forme d’articles, de reportages ou de photographies puis la revend à la presse écrite. Il convient donc d’étudier le rôle de l’Agence Havas dans la composition d’un journal calvadosien.

Le rôle de l’agence Havas

L’agence est incontestablement la première source d’informations brutes pour les journalistes. Ceci conduit d’ailleurs Michaël Palmer à affirmer : « Sans avoir recours à d’autres sources, un imprimeur de province peut faire un journal, depuis le titre jusqu’aux annonces que lui fournit l’agence Havas complétés par une chronique locale quelconque. »[4]

Fondée en 1835 par Charles Louis Havas, l’agence jouit d'un monopole de fait dans la transmission rapide de l'information. Bien qu’elle soit une entreprise privée, l’agence devient l'interlocutrice privilégiée du pouvoir qui y voit un moyen idéal pour diffuser l'information gouvernementale. En retour, le pouvoir lui accorde des avantages, tel que -le droit d'utiliser le réseau télégraphique jusque-là réservé à l'armée. Au début du Second Empire, Havas s’entend avec l’agence berlinoise Reuters afin de se partager la couverture médiatique du monde entier. Havas domine le marché de la publicité comme celui de l'information durant toute notre période. Les informations internationales et nationales sont mises en forme et transmises jusque dans les rédactions locales par le réseau télégraphique ou par le téléphone. A la veille de la Première Guerre Mondiale, la plupart des journaux de la région dispose d’une ligne téléphonique ce qui permet une transmission plus rapide des nouvelles. Une fois reçues, les informations sont triées et mises en page par rubrique. Celles qui parviennent trop tard pour être classées sont regroupées dans une rubrique intitulée « Dernière heure » ou « Par téléphone ».

Nous constatons donc qu’en ce qui concerne l’information générale, les journaux de la région sont tributaires des dépêches de l’agence Havas. Toutefois, l’agence ne joue aucun rôle dans l’information locale qui est la composante essentielle de la presse locale. L’agence a une influence réelle, mais limitée à l’information générale.

Le tableau de la presse calvadosienne met en évidence deux pôles de presse majeurs que sont les arrondissements de Caen et Pont l’Evêque. La presse locale y est très dynamique et bénéficie d’une audience importante. La presse parisienne y est également bien diffusée. Si l’influence parisienne est réelle dans l’ensemble du département, elle est limitée par la méfiance du calvadosien vis-à-vis des horsains. La diversité politique et géographique des journaux est préservée. Cette grande diversité au sein même de la presse départementale laisse supposer une inégale présence de l’information maritime selon les titres. Nous devons donc la mesurer.



[1] DELPORTE (Christian), « Presse et culture de masse en France (1880 – 1914) », Revue historique, n°605, Janvier – Mars 1998.

[2] MARTIN (Marc), Médias et journalistes de la République, Paris, Odile Jacob, 1997

[3] Annexe A, I, 2 : L’origine de la presse diffusée dans le Calvados en 1878.

[4] PALMER (Michael B.), Des petits journaux aux grandes agences : naissance du journalisme moderne, Paris, Aubier, 1983.

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