mardi, avril 18, 2006

Une presse de ville portuaire, héritière des journaux maritimes

Nous avons déjà vu que la presse honfleuraise, portuaire à ses origines, va peu à peu devenir une presse généraliste. Cependant, ces journaux conservent des traits de la presse portuaire qui se manifestent par une place de choix pour l’information maritime, une sensibilité maritime ou encore par un rapport particulier avec les gens de mer.

L’information maritime conserve une place de choix

Nous avons noté précédemment que la presse honfleuraise se situait légèrement au dessus de la tendance caennaise en ce qui concerne la présence d’articles maritimes. On y trouve deux articles maritimes par numéro en moyenne contre 1,2 à Caen. Cette place particulière accordée au monde maritime se manifeste particulièrement dans les années 30, alors que l’Echo honfleurais publie une photographie à la une par numéro. Près d’une photo sur quatre concerne un fait maritime. On préférera ainsi montrer une vue de l’hydroglisseur « Génial » (ci contre) qui fait ses essais à Trouville le 1er juillet 1936 ou encore une photographie de la fête de Honfleur en août de la même année. Les vues du port et des navires qui y passent sont très nombreuses. Pourquoi le monde maritime conserve-t-il une place de choix dans la presse généraliste honfleuraise ? L’information locale d’une ville portuaire est par nature très maritime. Que le sujet soit social ou économique, qu’il s’agisse d’un fait divers ou d’un article de fond, le monde maritime est présent en toile de fond. La presse honfleuraise reflète la vie de Honfleur est à ce titre, le monde maritime y occupe une place importante. Pour ce qui est des photographies, elles reflètent bien l’univers des journalistes de la presse honfleuraise qui prennent eux-mêmes les clichés. Ces journalistes semblent tournés vers la mer. Le monde maritime est présent de façon visible dans la presse honfleuraise, de même qu’il est présent de façon visible dans la ville de Honfleur.

La presse honfleuraise de la Troisième République s’ouvre sur le monde mais réserve une place particulière à l’actualité maritime.

Une sensibilité maritime préservée

De même qu’il existe une sensibilité politique, il existe une sensibilité maritime. Elle se manifeste par un rapport particulier à l’actualité maritime. Ce rapport particulier est d’abord la place laissée à l’émotion. La description d’un naufrage est toujours chargée d’émotion dans l’ensemble de la presse. Dans le cas de la presse honfleuraise, le lecteur ressent un niveau d’implication supérieur. Nous lisons « Un effroyable désastre vient de plonger dans une consternation profonde les villes du Havre et de Honfleur et jeter sur la journée du 26 mars une tache funèbre qui la rendra à jamais mémorable » (EH, 29/03/1882). Lors d’une tempête, les sauveteurs honfleurais périssent alors qu’ils portaient secours à une barque de pêche en perdition. Ce drame provoque un traumatisme sur la population de la ville, y compris sur la presse. Les journaux ne parlent plus que de cela et, d’articles en articles, passent de l’émotion à la douleur, et de la douleur à la compassion. La population honfleuraise paye souvent un lourd tribut aux naufrages. La presse honfleuraise ne fait que retranscrire l’émotion ressentie dans la ville. En dehors de l’émotion, la sensibilité maritime se perçoit par la façon dont la presse honfleuraise aborde les grandes questions maritimes. Lors des débats sur les sujets qui concernent les populations maritimes ou la marine, la presse honfleuraise adopte souvent un discours différent. Les journalistes prétendent, à juste titre d’ailleurs, connaître le monde maritime mieux que leurs confrères parisiens ou caennais. Ils connaissent les gens de mer, leurs conditions de vie et de travail. La sensibilité maritime de ces journalistes, c’est une idée de la mer et des gens de mer loin des idées reçues et préconçues. Cela les amène à être favorables aux populations maritimes en toutes circonstances. Cette constatation nous conduit à concevoir ce rapport particulier qu’entretient la presse de Honfleur avec les gens de mer.

Un rapport particulier avec les gens de mer

La presse honfleuraise témoigne d’une grande affection envers les marins. Cette affection est parfois aveugle. Ainsi, dans un article dont nous avons déjà parlé intitulé « Des matelots en bordée »[1], l’Echo honfleurais décrit avec une sympathie non dissimulée les mésaventures des matelots. L’article prend fait et cause pour les marins impliqués dans une rixe et se félicite de la victoire des marins : « comme le lecteur le pense, ce furent les matelots, qui étant les plus forts et les plus agiles, restèrent maître du champ de bataille » (EH, 07/1882). Pourtant, les tribunaux donneront tort aux marins et quatre des six matelots impliqués seront condamnés pour « Coups et blessures ». Cet exemple montre que l’affection des journalistes honfleurais pour les gens de mer leur fait perdre leur clairvoyance. Cette sympathie se manifeste également par le fait que la presse honfleuraise met un point d’honneur à avertir les populations maritimes de toutes les mesures qui les concernent. Les évolutions des lois et règlements sont publiés et commentés. Les « Avis aux patrons de pêche », qui annoncent par exemple la visite de l’inspecteur de la navigation, sont fréquents. S’adresser aux gens de mer est un signe de proximité. La presse aime s’adresser à « ses » marins. Ce rapport repose sur une proximité géographique puisque les journalistes sont tous honfleurais, mais aussi sur une proximité affective. Nous constatons que la conscience portuaire (évoquée plus haut), propre à Honfleur, est perceptible dans le rapport avec les gens de mer.

Née de l’activité portuaire, cette presse ne va jamais perdre son ancrage maritime. Plus présente que dans les autres journaux généralistes, l’information maritime est traitée avec une sensibilité et une proximité à l’égard du monde maritime, toutes deux héritées de la spécialisation maritime passée.

Nous pouvons pour conclure faire plusieurs constats. S’il y a bien eu une presse portuaire dans le Calvados, celle-ci ne peut plus être considérée comme telle sous la Troisième République. D’autant qu’aucune publication portuaire n’est fondée sur notre période. Cette absence de presse portuaire dans la Calvados est liée au déclin socio-économique des populations maritimes mais également à la concurrence des journaux généralistes ou balnéaires. Malgré tout, cette presse de ville portuaire n’a jamais perdu son ancrage maritime, restant fidèle à l’héritage de la presse portuaire.


[1] Revue de presse Partie II – Chapitre 1, p. 87.

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